Certaines revues vous arrivent ainsi, sans crier gare.
Elles suscitent un je-ne-sais-quoi, rien de précis. Quelque chose comme une cristallisation.
Un air de famille, comme si elle agrégeait un « air du temps », moins une impression de déjà-vu que l’écho d’autres revues appréciées. Pêle-mêle, pour le format, le papier c’est Chiche, le parti-pris du lettrage en couverture m’évoque Gros Gris. Les textes courts (à peine une page) confrontés à une œuvre graphique en regard : voilà Mouche ! La fantaisie, le jeu savant de mise en page (en relief, en vibration, en musique…) en rappellent encore mais lesquelles ?
Et puis me revient un ruban qui parcourait les pages du premier numéro de Roven : ici c’est un fil bleu, qui devient des lettres, pour un commentaire (ou un autre poème) qui court de page en page. Leur auteur est nommé (!) dans l’ours : K., « poète nocturne et révélateur d’imprécis ».
Je n’ai toujours pas compris la règle qui régit la pagination, qui s’écrit par exemple ainsi : Ri-1-2pré6 ou Ri-2-3pré4.
Mais est-ce important ? Nul sommaire ne vous guidera : tout juste un ours minimal vous accueille en deuxième de couverture, et l’édito de la maitresse de maison. Vous êtes chez Marianne Rötig, directrice de publication. Le graphisme est assuré par Christophe Lenté. À la direction artistique, voici… le chat James ! Ceci explique peut-être cette impression de joyeux désordre ?
Marianne Rötig écrit, en revue parfois (Bouts du Monde no 41), est publiée chez Gallimard. Elle revient sur une genèse, et remonte à quinze ans ! Quinze ans et puis « Un jour, on se retrouve au café (non loin de l’église de Ménilmontant) et c’est parti. » Un chat, une petite fille de dix mois, des copains, des inconnus : un tourbillon apparaît. Une fête est évoquée, la sortie se fera tous les 21 juin. Et quatre bals ponctueront l’année de la revue : où aura-t-il lieu ? comment se faire inviter ? y aura-t-il tous les contributeurs ?
J’en compte trente-cinq pour ce numéro zéro, qui sont nommés avec notice sur deux pages en fin de numéro. Enfin, des notices qui évoquent plutôt qu’elles ne décrivent, tous les gens de talent déjà lus, vus quelque part, pour la plupart, réunis dans ces pages, répondant à un appel à contribution. Jacques Demarcq fut le premier à y répondre, « c’est lui qui a ouvert le bal de la revue. » Guy Bennett déploie sur trois pages une œuvre graphique étrange, bande dessinée au texte illisible, rébus sans solution (tiens, voilà un chat !).
Marlène Bertrand et Cyprien Guilbert, « rencontrés non loin de l’église-bibliothèque de l’Imec » évoquent Christophe Tarkos dans une page dessinée, à propos de la Carte générale de LA LISTE.
Et puis des textes datés, parfois, 2017, 2018, 2022, 2023, des collages, photographies, dessins… des traductions du turc, des inspirations diverses : un foisonnement rythmé, chorégraphie dynamique (c’est un bal, on vous dit).
Ce numéro #0000 annonce pour thème « Spécial grand flou ». Flou artistique à n’en pas douter.
Sa notice ne comporte, pour la joindre, qu’un courriel. Ce n’est pas rien.
Et son titre ? Rien. Rien de précis, exactement.
Yannick Kéravec