Continuités d’A Traversa

 

Au gré des semaines, l’on y pense, et puis une revue chasse l’autre.

 

Peut être aussi voulait-on attendre la confirmation de l’ambition de cette nouvelle revue sous-titrée Revue(s) et Méditerranée. Et puis cette première couverture – un sévère portrait de Constantin Cavafy –, intimidait.

 

Ce numéro inaugural d’A Traversa s’intéressait dans un dossier à la Grèce, à l’insularité, et présentait le Bulletin de la société des sciences historiques et naturelles de la Corse qui remonte à 1881. Pour une revue créée par Christian Peri, conservateur honoraire des bibliothèques de Bastia, cela coulait de source mais le projet allait-il dépasser son cadre corse ?

 

Ce deuxième numéro le prouve.

 

La revue s’intéresse à l’histoire culturelle au sens large, où la littérature tient une bonne part, comme passeuse de savoirs, clandestins ou déclarés, mais la géopolitique, la géographie sont mis à profit, l’ancrage dans l’histoire et le pont vers l’actualité sont présents.

 

Ainsi, dans ce deuxième numéro, le portrait de Jacques Fusina, poète, universitaire, évoque littérature et langue corse, exil et retour, revues là-bas ou ici : Rigiru élaborée à Saint-Cloud et Le Puits de l’ermite à La Courneuve, éditeurs et sociabilités qui accompagnent son parcours.

 

Trois pages recensent l’actualité des revues corses : Litteratura, I Vagabondi, Qui magazine, Études corses, Bulletin de la société des sciences historiques et naturelles de la Corse, Storia corsa, Robba, Lumi et Doc(k)s qui passe d’Ajaccio à Bastia, aux éditions Éoliennes.

 

Le dossier sur la Turquie s’ouvre sur les déplacements de populations, exils au regard des langues, des religions : nous remontons au XVe siècle pour trouver l’origine des corses de Paomia ! Parmi les six contributeurs, Richard Tchélébidès resitue la Turquie dans ses cent ans d‘état moderne, et dans son histoire longue, sa géographie de carrefour, ses populations mouvantes. J’aurais choisi cet article comme introduction à l’ensemble, permettant de mieux l’appréhender.

 

Jean-François Pérouse livre douze pages d‘analyse de Türk Akdeniz (1937-1944, 44 livraisons), revue dont le titre traduit serait Méditerranée turque, mais en considérant que la Méditerranée se traduit « Mer blanche » en langue turque, et n’englobe pas les mêmes imaginaires, les mêmes limites, les mêmes enjeux. La revue est éditée par la Maison du Peuple d’Ankara : l’article retrace cette tradition que l’on retrouve dans de nombreuses villes du pays. Ce savant article sur un objet rare, permet de comprendre des réalités qui influent encore sur l’actualité.

 

Un portrait d’éditeur – Sylvain Cavaillès des Éditions Kontr – et un article de Géopolitique (Russie et Turquie) ferment le dossier.

 

Dans la section « Revues méditerranéennes », Francis Pomponi nous fait découvrir Mediterranea. Rivista di cultura e di Problemi Mediterranei (1927-1936), publiée à Cagliari, en ces années où politique et identités étaient des enjeux cruciaux, à travers le prisme des isole sorelle, les « îles sœurs » que sont – que seraient ? – Corse et Sardaigne.

 

La Méditerranée constitue pour nous, occidentaux, un creuset civilisationnel, pour nous français une mer nourricière (de ressources, d’imaginaire, d’humanité). Le travail entrepris par Christian Péri vient déplacer le regard, en redéfinir bords et surfaces, chercher des permanences et creuser les mouvements des peuples, des hommes et des femmes, éléments aussi importants que l’élément liquide pour tenter de la saisir – ne serait-ce qu’un temps donné.

 

Yannick Kéravec

 

Coordonnées de la revue