Les Murs blancs représentent un cas assez exceptionnel de maison collective liée à une revue. Dans un livre qualifié de « très chouette » par Emmanuel Macron, Léa et Hugo Domenach en écrivent une chronique sensible et chaleureuse. La vaste mais très décatie propriété châtenaysienne est acquise à l’été 1939 par le philosophe Emmanuel Mounier, fondateur en 1932 de la revue Esprit, qui souhaite en faire à la fois un domicile familial joint à celui d’amis proches et un centre éducatif. Le projet évolue vite, mais de fait s’y retrouvèrent pendant plusieurs décennies des familles (outre celle du fondateur, les Fraisse, Domenach, Baboulène, Marrou, Ricœur et quelques autres) au cœur de bien des débats intellectuels et politiques du temps.
Certes, la fabrique de la revue elle-même se fait davantage à Paris qu’à Châtenay-Malabry, ce qui n’empêche pas une vie semi-communautaire et des échanges intenses, complexes et parfois heurtés. Ils sont décrits ou évoqués à grands traits par les deux auteurs avec une distance suffisante, une empathie légitime et une compréhension bienveillante, qui valent autant pour les aspects les plus lumineux (Résistance, opposition aux dictatures, anticolonialisme, encouragements aux évolutions, débats et interrogations) que ceux qui le sont moins (rivalités, blocages face à certaines desdites évolutions…). Pour Esprit, Léa et Hugo Domenach montrent bien que ce fut surtout pendant le mandat Béguin (1950-1957) que la revue fut intimement liée à la vie aux Murs blancs. Après lui, leur grand-père, Jean-Marie Domenach écarte l’ancienne équipe (Lacroix, Marrou, Fraisse…) au profit d’une nouvelle génération (Julliard, Thibaud, Touraine, Prost, Chapuis…). De son côté, avec un Ricœur attaché à son œuvre, Les Murs blancs perdurent et demeurent un lieu de rencontres et de débats qui s’épuisent peu à peu, traversés par des crises et des difficultés, avant d’accepter de se survivre en copropriété commune et banlieusarde.
Cet essai mérite le qualificatif de « très chouette » attribué par Emmanuel Macron, qui, on le sait, visita jadis Paul Ricœur et collabora un temps avec lui. Documenté, vivant, sans prétention excessive à une érudition tatillonne, peut-être brodant parfois un peu (un historien local pourrait amender légèrement le récit des conditions d’achat de la propriété en 1939…), le livre se révèle convaincant, attachant, sachant aller d’une personnalité à l’autre, en respectant chaque individualité et en valorisant légitimement le regard un peu de côté, mais révélateur, des enfants concernés par cette aventure intellectuelle.
Gilles Candar
Léa et Hugo Domenach, Les Murs blancs, Libretto, 272 p., 10,20 €.