Le public des revues est aussi varié que le revues elles-mêmes. La diversité de leurs sujets et de leurs formes paraît infinie. C’est elle que découvrent, dans le cadre du partenariat entre Ent’revues et l’École Estienne, des élèves curieux qui furètent dans les allées du Salon de la revue pour feuilleter des revues, discuter avec ceux et celles qui les font. Pour accompagner « Partir en livre », orchestré par le Centre national du livre pour défendre la lecture des plus jeunes, nous publions leurs lectures composées à plusieurs. On y entend une curiosité vive, des manières d’aborder les textes et les idées, un originalité dans le partage de formes originales.
Anarchisme millimétré
Samedi 11 Novembre, 17h35.
Réception d’une enveloppe blanche en provenance de Marseille.
Quelle surprise de voir mon nom manuscrit : « Qui donc m’a écrit ? »
La tension monte tandis que je déchire le rabat ; deux grandes feuilles d’un blanc plus cassé dévoilent leur contenu clandestin : niqui causse.
niqui causse est une revue dérobée qui circule par voie postale et apparaît à chaque trimestre comme une surprise dans la boîte aux lettres.
En deux feuilles, elle recueille des poèmes denses sur un papier léger, avec une seule loi : ne pas dépasser vingt grammes. Cette règle définit les principes créatifs de la revue en contournant les envois postaux classiques et leurs taxes. Son anarchisme millimétré se retrouve dans la mise en page. Soigneusement divisée en colonnes déséquilibrées, elle accueille des textes qui rompent avec les conventions poétiques et typographiques. Entre subversion et tradition, la revue utilise le principe d’impression à caractères en plomb.
Elle affirme une indépendance vis-à-vis de l’industrie informatique et nous replonge dans l’artisanat humaniste. Hommage à l’art de l’écriture typographique et de la lecture ou manifeste poétique, ce retour à l’essentiel s’apparente à une déclaration d’indépendance face à la production de masse et à la dématérialisation de la culture.
Parfois, quand les mots sont trop lourds, et qu’elle ne peut toujours pas dépasser ces vingt grammes, une ruse s’impose : deux livrets beiges sur lesquels est écrit « supplément à niqui causse revue, nov. 2023 ». Dans ces extensions-annexes-objets non-identifiés, les auteurs s’étendent. Le lecteur contemple. Le temps s’allonge. L’espace se dilate. On respire.
« On compte tout dans le désordre parce que cela ne fait rien, on ne doit arriver nulle part par là. » Dans cette agitation, on jongle entre les feuilles. On est séduit. On pense à tous ceux qui lisent ces mots. On éprouve une communauté invisible mais palpable de lecteurs qui partagent une expérience commune de résistance.
Vive notre complicité silencieuse !
Julie Château, Charlotte Le Pimpec, Louis Lepoittevin-les-Vallées & Roxane Rouault
Zones grises
Comment créer la dissonance ?
Le processus éditorial de la revue débute par un appel à candidature dans le numéro précédent, dévoilant ainsi le thème à venir. Parmi les 300 à 400 textes reçus, une vingtaine est sélectionnée lors d’une intense journée de lecture. En classant et notant le contenu s’impose une dissonance autour du thème choisi, nous explique un membre du comité au Salon de la Revue ce dimanche 15 octobre 2023.
La revue embrasse différents thèmes originaux et se distingue par ses sujets marginaux (souvent sombres, voire funèbres). Dissonances mêle des poèmes d’auteurs divers et des illustrations, établissant une connexion subtile entre les textes pour créer des thématiques novatrices et personnelles. À l’instar de La Galerie de Minéralogie, de Mathieu Le Morvan, la revue nous transporte dans un voyage introspectif où nous sommes libres de vivre les textes à notre façon.
Décrite comme une « revue pluridisciplinaire à but non objectif », elle échappe aux clichés, exigeant d’étonner et de secouer le lecteur. Le dernier numéro explore le thème provocateur et complexe de « toxique », invitant les contributeurs à explorer les recoins sombres de l’existence.
Ce numéro questionne la souffrance, la noirceur, la nocivité : « […] sois mort et pur et silencieux » (Jean-Christophe Belleveaux dans Dimanche soir, face B). Dans un style d’écriture très cru, écrivains, artistes et illustrateurs se prêtent à définir le thème par des mots, des photos et des images riches en détails. La toxicité devient à la fois source d’attraction et de répulsion, créant une tension constante entre le plaisir et la douleur. Ce malaise est perceptible lorsqu’on regarde les illustrations d’Armelle Le Golvan, particulièrement celle de la page 16 on y voit la tête d’un enfant transformé en tirelire avec un code barre sur la tempe. Une main aux allures inquiétantes introduit dans son crâne une pièce de monnaie.
Dans un spectre colorimétrique gris, la diversité d’illustrations et de styles typographiques tend vers une expérience multisensorielle. Le choix du noir et blanc produit une cohérence dans la dissonance. Les illustrations d’Armelle Le Golvan, souvent oniriques et expressives, captent l’essence même des textes, offrant une interprétation visuelle aussi subjective qu’intense. Dans ces “zones grises” – à la fois graphiques et conceptuelles –, comme le dit l’édito d’Ingrid S.KIM, surviennent les dissonances.
Cette revue captivante nous entraîne dans une expérience littéraire riche, invitant les lecteurs à plonger dans les nuances de la vie contemporaine, entre fascination et répulsion, poésie et réflexion. Ce qui est toxique c’est aussi bien la botanique, que la drogue, le quotidien, la famille, l’amour, la haine.
En fermant cette revue, la citation de Rimbaud en couverture semble se vérifier absolument : « J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. »
Zoé Butsschaert, Salya Idiaich, Énora Long & Anaïs Mezine
Une revue bien chouette
Je suis l’Ouroboros, revue singulière du nom d’un signe millénaire, signe de croissance, de vie et de renouveau. Pluridisciplinaire et entièrement libre, je m’envole vers les univers variés de la littérature, au cinéma, à la bande dessinée passant par la psychanalyse et l’anthropologie… sans oublier les pratiques militantes.
Je suis élaborée par les soins de ma directrice de publication, Odile Nguyen-Schoendorff et de mon rédacteur en chef, Yann Serra. Je suis une revue biannuelle qui a fait son nid dans la ville des Lumières, Lyon. De ma création à mon impression, je mets à l’honneur les acteurs locaux de ma ville natale dans toutes ses facettes comme l’atelier Perluette & BeauFixe.
Ce sont les artistes eux-mêmes qui, en proposant leurs œuvres à mes responsables, parent mon plumage de culture, tantôt des arts graphiques, tantôt de la peinture ou encore de la poésie. Ne me limitant pas à un thème précis, je suis un assemblage harmonieux et éclectique que vous découvrirez au fil des pages.
Pour ce numéro, je me mue en chouette de Minerve dans sa robe blanche de glace. À travers mes transmutations et mes réincarnations, je reste fidèle à mon implacable esprit de subversion face au monde.
Pour ce tirage, je donne en particulier ma plume aux femmes : des écrivaines et artistes inspirées comme Marie Morel, Denise Mutzenberg ou encore Martine Tallet. Autant de femmes qui mettent en lumière leurs consœurs ainsi que leurs nombreux talents et leurs combats. Des poètes ont semé quelques vers : amour, saisons, univers hospitalier, travail, autant de sujets éclectiques qui font ma marque de fabrique.
Daniel de Roulet nous propose sa Complainte de l’emploi et Emmanuel Venet une Lettre au Président. Sorties de mes derniers œufs, des bandes dessinées colorées d’artistes encore inconnus par la nuée de lecteurs. Jacques Fabry rend hommage au travail graphique de Marie Morel qui célèbre les oubliées des siècles passés : « Cette exposition magnifie les femmes si longtemps tenues aux marges de la gloire patriarcale ordinaire. »
Cette artiste utilise la liberté de son époque pour coller dans ses peintures, différents petits éléments comme du bois, des tissus et des plumes. Je veux me pencher sur une œuvre singulière qu’un visiteur inattentif pourrait trouver banal alors qu’il s’impose avec force par son langage : “ Par son rythme précis, par son équilibre et par une sorte de tranquille certitude intérieure. Elle émerveille. Avec Pascal Quignard, vous conviendrez alors que c’est là « un des plus grands peintres vivants ». Les formats sont divers, tantôt condensés, tantôt immenses : « elle raconte avec justesse des histoires humaines souvent bouleversantes et militantes [… ] qui nouent avec nous un dialogue chatoyant. Elle conjugue les femmes, les hommes, l’amour ; l’humour et la gravité. »
Prêt à s’envoler ensemble vers de nouvelles découvertes ?
Kelly Cai, Alexandrine Coste, Éva Guerton, Jeanne Omnes & Angelina Sulejic
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« Des images {paradoxales} pour mieux voir »
La première image de cette revue dévoile un atelier futuriste accumulant un panel de mobilier complexe aux textures chromées et miroitantes assez invraisemblables. Des reflets à foison dévoilent à la fois des éléments de la nature et des lumières artificielles semblables à des villes vivement éclairées. L’espace semble à la fois clair et confus, les jeux de reflets et de transparence font perdre toutes notions de perspective. Ces éléments de hautes technologies contrastent avec le lit végétal sur lequel ils reposent. La verdure se répand, sans tout envahir, dans ce laboratoire qui ne parait pourtant pas abandonné. Confronté à l’hybridation d’un univers immaculé et d’une nature qui affirme sa place mais ne parasite pas, une question se pose : dans quelle réalité nous plonge cette photographie paradoxale de Nicolas Baier ?
Ciel variable est une revue canadienne trimestrielle, visant à mettre en lumière et à analyser les pratiques les plus notables de la photographie artistique contemporaine. Elle explore également l’histoire de la photographie et ses diverses utilisations. Ces pratiques se distinguent par leur réflexion approfondie sur leurs moyens, leur impact et leur positionnement au sein de la culture actuelle.
Les images, qu’elles soient photographiques, artistiques ou même mentales, semblent des instantanés de temps figés dans un cadre défini. Elles capturent un moment précis, offrant une perspective unique sur la réalité à un moment donné. Cependant, il demeure crucial de reconnaître que cet instant figé ne peut jamais prétendre représenter l’intégralité de la complexité du monde qui l’entoure.
L’arrivée des nouvelles technologies aurait tendance à nous pousser encore plus à nous questionner sur la véracité et la valeur des informations transmises par les images. Ciel variable prend ce raisonnement à contre-pied en nous proposant des « images pour mieux voir ».
Trois artistes sont mis à l’honneur dans cette livraison : Nicolas Baier, accompagné de Thomas Demand et Adad Hannah. Ces derniers utilisent l’image comme un outil proposant une vision approfondie de la réalité, représentant le spectre complexe d’un environnement conçu pour être décortiqué. Jacques Doyon, l’interviewer de Nicolas Baier, précise cet intention : « Ce sont des images qui troublent, retiennent l’attention et, ainsi, intensifient le regard. Ce qui est donné à voir est clair et précis, mais il y subsiste quelque chose, parfois peu perceptible, qui incite à regarder plus attentivement et à remettre en question plus avant le contexte de production de l’image. »
Au travers de ces œuvres aux apparences paradoxales et inauthentiques, Ciel Variable nous dévoile des perspectives encore inexplorées par l’œil humain et témoigne vivement d’un désir de représenter plus largement le réel.
Valentine Didio, Gaspard Freyssinet, Léon Rougier & Tristan Widolf
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VÉHICULE : MODE D’EMPLOI
Notice de lecture du numéro 6
Parution février 2023
Créateurs : Garance Dor (Artiste, Chercheuse) et Vincent Menu (Designer graphique)
La revue réunit une série de protocoles artistiques proposés par 16 artistes, chacun suggérant au lecteur d’être l’acteur d’une performance.
Nombres d’étapes : 5
Durée de lecture : variable
Pièces : 1 emballage plastique, 3 livrets, 7 dépliants, 3 feuilles cartonnées, 3 cartes de visites, une pochette pliée
Matériel nécessaire à la lecture : corps humain
Protocole de lecture :
Étape 1 : Appréhendez l’objet, questionnez sa forme, pourquoi est-elle celle d’un vinyle ? Prenez le temps de découvrir ses lignes violettes, le nom des 16 artistes intervenants y sont entremêlés.
Ouvrez l’emballage plastique avec précaution.
Au dos, vous trouverez l’édito de la revue.
Il dépeint la manière dont Garance Dor et Vincent Menu envisagent l’art – en kit. Regardez-le, manipulez-le, ressentez-le.
Étape 2 : Premier rabat, première incitation. « Envoyez vos interprétations en vue d’une publication sur le site de la revue. » Ceci sert d’avertissement : vous allez mettre la main à la pâte.
Étape 3 : Tenez la première production dans vos mains. Vous lisez Redistribution par Matthieu Saladin. Un protocole au format carte de visite, qui prend vie dans l’univers graphique de VÉHICULE, vous incite à « redistribuer » : faire don de chaque élément séparé de l’ensemble où se trouve la carte.
Étape 4 : Votre œil est attiré par le papier rouge du kit d’invocation de Itoukasip Fraummaï 2vil, Démon de la Destruction du Monde et de la Fin des Temps par Anaël Castelein.
Pesez le pour et le contre. Voulez-vous vraiment déclencher la fin du monde ? Si, malgré tout, la fin du monde vous tente toujours, entamez la lecture de l’incantation : au rythme d’un poème divisé en une introduction et 5 étapes, chantez, construisez un totem, trouvez des fidèles, dansez sur de la musique youtube libre de droits selon la description du rite cérémonial, psalmodiez un autre chant d’invocation puis sacrifiez un nombre exorbitant d’animaux innocents.
La notice se dédouane de toute responsabilité et vous laisse le choix de réaliser cette étape, en votre âme et conscience.
Étape 5 : Appliquez les étapes 3 et 4 au reste des protocoles.
Vous arrivez à la fin de ce mode d’emploi. Suivez bien les étapes ou ne les suivez pas. Après tout, ce sont vos performances.
F. A. Dutour, Éléonore Isen, Angèle Jourdain & Luna Jouve
Découvrez Véhicule
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Ent’revues & « Partir en livre »
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