La pêche aux mots

 

Saviez-vous que « c’est en écrivant qu’on devient écrevisse » ? La phrase d’Alphonse Allais trône en majesté au dessus du titre de cette intrigante nouvelle revue qui a eu la bonne idée de lui emprunter son nom : L’écrevisse, « la revue de celles et ceux qui écrivent en atelier ». Diffusée principalement à Dijon, semestrielle et vendue à prix libre, son numéro zéro est paru à la toute fin de l’année 2023. Née du désir d’une animatrice d’atelier d’écriture, Laurence Gourdon, de montrer les textes des personnes « qui ne seront peut-être jamais éditées mais qui méritent pourtant d’être lus » et de « donner une place à celles et ceux qu’on n’entend pas », cette dernière a vite rassemblé autour d’elle un collectif à l’enthousiasme contagieux : Béatrice Flandrin à la direction de publication, Nina Boulehouat avec laquelle Laurence Gourdon partage la tâche de rédactrices de publication, Laetitia Bonnamour secrétaire de rédaction, Anouk Renahy Gourdon en coordinatrice, Jérôme Derieux au graphisme et Agnès Golay au dessin, car il y a des dessins ! Pour servir l’idée, une mise en page audacieuse : un grand A2 imprimé recto verso qui donne envie de l’afficher, qu’on doit déplier comme une carte d’état-major et retourner en tous sens pour lire les textes qui s’y promènent, dont certains sont signés de simples initiales, d’autres avec les patronymes entiers, d’autres encore avec des pseudonymes étonnants, telle cette mystérieuse Arbrelle…

 

Sur la couverture, pas de thème mais un début de phrase écrit à la main avec des points de suspension en guise de question ouverte : « Écrire, c’est… » Les textes qui peuplent la double très grande page qui suit répondent par un inventaire à la Prévert. Ainsi écrire, pour ce numéro zéro, ce serait raconter une naissance dans la tempête, un combat de boxe entre deux ours en peluche ou comment on peut souhaiter faire les gros titres en se perdant dans les bois. Il y a même une petite annonce pour un pouf turquoise : « très grande valeur sentimentale, faire offre. » Les textes tirent volontiers du côté de l’enfance, c’est souvent doux, mais parfois dur aussi : un texte raconte ce jour de « même pas peur » où l’on s’est blotti contre le corps d’une mère évanouie ou pire encore, un autre comment il fallut fuir la violence avec un enfant en bandoulière… Parfois, les tableaux se parlent entre eux, on suit la métamorphose d’une tignasse blonde qui passe chez le coiffeur, on court après les passe-temps-perdus, ça va, ça vient, ça fourmille et entre une apologie des pommes et une correspondance secrète écrite dans le secrétaire d’une chambre d’adolescence, on apprend que « le napperon ne s’imagine pas carré » mais qu’on ne cessera pas pour autant de « marcher dans l’avenue de la vie » !

 

Bref. L’écrevisse, c’est plein de revirements, de trouvailles, avec cette sensation palpable dans chacun des textes présentés du plaisir qu’il y a eu à les écrire. Contaminant. On sort de la lecture en ayant envie de saisir un stylo. Écrire, c’est… prendre plaisir à être écrevisse !

 

Marianne Rötig