Quartette #17

Jacques Réda en 2015 à Sète © CC BY-SA 4.0/Pkobel/Wikipedia

 

 

Salut à la compagnie –

 

En Angleterre, annoncent les journaux de ce 30 septembre, la dernière usine électrique à charbon ferme définitivement ses portes. Sur l’écran, devant les immenses cheminées, une femme pleure : le paysage, dit-elle, ne sera jamais plus comme avant.

 

En apprenant la mort de Jacques Réda (né en 1929), nous avons été nombreux et nombreuses à prononcer ces mêmes mots. Fermeture définitive de l’atelier à poèmes Réda & Cie. Pour ma modeste part, j’avais découvert la bonne adresse (l’une des meilleures de France et de Navarre) grâce à Gilles, Vincent, Marlène et Jacques – salut aux camarades Ortlieb, Pélissier, Soreda et Damade. Vincent m’avait invité à me joindre à la « vague besogne » de la revue Fario. Je sortais de plusieurs années de bibliothèques, à étudier en historien les revues du passé – je saisis l’occasion de pratiquer un peu le présent à la belle enseigne de la truite de Garonne. Dans les heures fiévreuses des relectures tardives, je découvris les vers, les mots et les rythmes de Réda, l’immense, le cador, le caïd, l’impérial du XXe arrondissement

 

 

La Sardine

 

Avec fario, Phoenix, Lanskine et Sarrazine, nous organisions de temps en temps d’amicales lectures dans un bistrot de Belleville, la Sardine, sis 32 rue Sainte-Marthe. C’est lors d’une de ces soirées joyeusement foutraques qu’apparut le poète dans son paletot de marin, l’air tout à la fois amusé et grognon. La glace fut vite brisée, nous étions en terres communes – et on se marrait bien, à la Sardine.

 

Réda, j’en quêtais chez les bouquinistes les livres et les revues – sa NRF en particulier, qu’il conduisit avec une sérénité souveraine, de 1987 à 1996, ouvrant à bien des impétrants leur première colonne – Gilles je crois, Étienne Faure, Edith de la Héronnière et bien d’autres.

 

Et puis bien sûr, dès que possible, pour écouter la pluie, se réfugier sous le grand parapluie bleu de Théodore Balmoral.

 

 

Affiche de l’exposition « le Dibbouk » au MAHJ

 

 

Humble rôdeur du monde connaissable –

 

La veille de la mort de Réda, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, se tenait une journée d’étude sur les dibbouks, moment savant dédié à l’ami Yves Chèvrefils-Desbiolles (1951-2023). Le lendemain, pour annoncer le trépas du piéton de Paris, Le Monde publia un texte de Patrick Kéchichian (1951-2022) en le présentant de telle façon que nous crûmes un instant, avec l’ami Joseph, Patrick redescendu de son cumulo-nimbus pour écrire un ultime hommage au citoyen Réda. Mais non, il avait simplement pris la précaution de laisser un texte au journal du soir – la sensation étrange et déroutante s’estompe à la lecture de ce texte présentant parfaitement la vie, l’œuvre et l’esprit du poète : « Animé par une constante “ébriété lyrique”, Jacques Réda est en effet, et surtout, un itinérant, un “humble rôdeur du monde connaissable”, “tour à tour (ou ensemble) nuageux, curieux, inquiet, hilare, furibond, tendre ahuri”, qui ne veut surtout pas tenir en place. »

 

 

Mirabelles –

 

Alors, comme Jacques Réda allait aux mirabelles, nous continuerons à cueillir des mots et des livres et à nous rendre dans Paris-la-grande au Salon de la revue de la Halle des Blancs-Manteaux. Cette année encore, ces deux jours et demi brillèrent d’allégresse, de créativité et de combativité. Livres hebdo a consacré deux articles au Salon et au « marché de la revue ». La présidente d’Ent’revues, Isabel Violante, avait ouvert les festivités par un discours plein d’entrain, d’envies et de projets. Les habituées étaient là, à côté de nouvelles venues ; le souvenir des absents dansait dans le même joyeux mouvement de mémoire et de création.

 

François Bordes