La revue Mouche, 3e du nom, s’est posée sur le tarmac de ma table de chevet et je l’ai laissée bourdonner à mon oreille. Dans la soute de cette parution co-dirigée par Léa Boisset et Clémentine Saucier, il y a deux types de bagages : ici des mots, là des images. Le tout se mélange bien, cela voisine en bonne intelligence. Dans la nouvelle livraison de cette revue « photo-poétique » à la maquette agréablement aérée, il s’agissait cette fois de s’inspirer d’une citation-thème tirée d’un livre de la poétesse Laura Vasquez, laquelle y signe d’ailleurs une contribution (l’écrivaine est probablement la plus capée du sommaire, Eugène Savitzkaya – qui se fait trop rare – excepté).
Ce déclencheur de créativité, le voici : « Donne-moi ton numéro / Je rêve de t’envoyer / Le message pur ». L’ensemble, une soixantaine de pages en noir et blanc sous un format 18 x 24, fait donc résonner ce fragment, chacun·e émettant sur sa propre fréquence artistique ; et ceci sans nécessité aucune d’instaurer un dialogue entre les écrits et les visuels. Du côté des textes, nos préférences vont à Lola Arrouasse (pour l’entraînante rythmique d’une sorte de plaidoirie ou revendication sur le mode anaphorique), à Kevin Brechemier (pour son journal faussement trivial d’une relation amoureuse) et surtout Camille Readman Prud’homme, une Québécoise dont il faut retenir le nom.
Ses « Perquisitions », titre qu’elle donne à cinq variations très personnelles, sont d’une grande finesse psychologique. Comme avec un stéthoscope, cette trentenaire habituée des revues (Estuaire, Mœbius, Zinc…) écoute parler les uns et les autres. Ce qui l’intéresse, c’est notre façon de prendre langue, de faire sociabilité à travers des conversations en apparence anodines, sans toujours savoir ce qui se joue en arrière-plan : « Dans ce qui semble être un échange, il y a en fait des gens qui cherchent à savoir et d’autres qui cherchent à partir. » Et ceci, plus loin, qui n’est pas moins joliment dit, et très vrai : « On joue les enquêteurs pour pouvoir se dire dans la confidentialité de notre tête qui sont les salauds, qui sont les contrefacteurs et les cambriolés. » Jamais l’on ne sait vraiment comment nos paroles sont entendues, comprises, reçues ; quel échos elles trouvent ou quelles plaies (« cratères », « crevasses », dit la Canadienne) elles recouvrent…
Côté photographies il est assez difficile, soyons francs, de les rattacher à la citation donnée en thème. Libre au lecteur, selon les connexions de ses propres synapses, de les raccorder à cette source première. Quant à nous, on les a découvertes avec un léger sentiment de frustration car on aurait voulu en voir plus. Peut-être faudrait-il retenir moins de photographes de sorte à pouvoir en montrer davantage de chacun·e, et aussi privilégier une disposition en galerie, façon Instagram disons ou portfolio, plutôt qu’une présentation éclatée ; ce sont là des questions d’appréciation de choix de mise en page…
Quoi qu’il en soit, il y a là des portraits, des scènes apparemment saisies sur le vif ou relevant d’une veine documentaire, d’autres au contraire qui semblent plus construites. Entre expérimentation formelle et approche réaliste notamment, cette sélection d’une quinzaine de clichés multiplie donc les styles et les sensibilités. Ils sont signés par Romain Bénichou-Ayoub, Samuel Lebon, Maria Antelman, Marie Le Moigne, Cassandre Villautreix, entre autres. Si l’on en croit les notices biographiques, autodidactes passionnés et profils plus professionnels voisinent dans ces pages, certains s’adonnant par ailleurs à des pratiques plurielles (sculpture, vidéo, design). À noter pour qui voudrait participer au prochain numéro, dont le bouclage interviendra mi-janvier 2025, voici la nouvelle citation-thème à s’approprier librement : « Pourquoi n’es-tu pas seulement seulement seulement un jeune glacier en train de devenir brusque » (Albane Prouvost).
Anthony Dufraisse