par Sophie Cœuré
1996, in La Revue des revues no 21
Avec la muse de l’histoire pour marraine de bon augure, Clio, « revue semestrielle francophone d’histoire des femmes », est née en 1995. En ouverture, Françoise Thébaud justifie le projet de l’équipe fondatrice par un bilan et un constat paradoxal. Alors que le courant historiographique de l’histoire des femmes s’était nourri, depuis une vingtaine d’années au moins, de fortes contributions françaises, il n’existait en 1995 aucune revue spécialisée nationale face aux nombreuses publications anglosaxonnes. Clio vient combler cette lacune avec un objectif précis, conjuguant esprit militant et volonté d’ouverture interdisciplinaire. Il s’agit de faire l’histoire des femmes, c’est-à- dire des rapports entre hommes et femmes, conçue non comme un territoire voire une chasse gardée mais comme une approche des sujets et des méthodes.
L’architecture du numéro 1 reflète la construction solide et exhaustive de la revue. À un dossier thématique de plus de 200 pages succèdent les « Regards complémentaires» (une rubrique qui hésite un peu entre de courts résumés de travaux et des présentations plus problématiques) et les « Perspectives de recherches » proposant les résultats de jeunes chercheurs ou les enquêtes en cours. Puis les « Témoignages », « Documents », comptes rendus de lecture et « Informations et initiatives » forment un ensemble très riche. Le premier dossier qui porte sur « Résistances et libérations. France 1940-1945 » montre tout l’intérêt du projet historiographique avec sa cohérence et sa diversité. Une partie des contributions en effet se consacre plutôt à « rendre visible les femmes », à sortir de l’oubli une catégorie dominée en dénonçant l’idéologie traditionnelle des rôles masculin et féminin dans la société française. On peut y lire souvent l’héritage de l’engagement féministe des « auteures ».
La revue, qui offre généreusement ses colonnes et son comité scientifique à quelques hommes, souhaite aussi « proposer une lecture sexuée des phénomènes » et pratiquer une « gender history » comme histoire des rapports de sexe. Outre l’apport nourri – plutôt rare dans une revue française – de l’histoire anglo-saxonne, l’approche du « genre » ouvre dans plusieurs articles des perspectives très nouvelles. C’est le cas de l’interrogation sur la modification des rapports entre vie privée et publique, entre morale et politique, par l’engagement résistant ou collaborateur, puis par la nouvelle citoyenneté après 1945. La mise en valeur du détournement des stéréotypes féminins par les Résistantes elles-mêmes comme camouflage de l’action, l’analyse de l’image du corps, les réflexions sur les sources (problèmes de la clandestinité, des noms successifs portés par les femmes, de la recherche dans les archives résistantes ou judiciaires d’une catégorie « femmes » qui n’est pas forcément pensée par les contemporains) sont d’autres exemples de la richesse générale des approches. Elles font de Clio une belle revue d’histoire des femmes mais aussi et surtout d’histoire tout court.
Notice de la revue