par Michel Richard
1996, in La Revue des revues no 22
« L’analphabète de demain ne sera pas celui qui ignore l’écriture, mais celui qui ignore la photographie. » Cette célèbre citation de Moholy-Nagy, reprise par Walter Benjamin dans le texte inaugural de ce premier numéro d’Études photographiques pourrait servir de devise au comité de rédaction qui, sous la signature d’André Gunthert, rédacteur en chef, nous promet de publier « les travaux issus de tous les domaines susceptibles d’éclairer le champ de la photographie : histoire de l’art, des sciences, des techniques ou des représentations, mais aussi conservation, sociologie, esthétique ou sémiologie ».
Elle souhaite offrir un lieu d’expression, de confrontation et de dialogue à la recherche scientifique qui n’en disposait plus en France. S’il est vrai que les articles publiés dans ce premier recueil concernent surtout les textes théoriques et les pratiques de la photographie du XIXe siècle, ils présentent en revanche des questionnements très récents puisqu’il s’agit de compte rendus de travaux du département Image photographique de l’Université Paris VIII ou de conférences organisées par ce même département et la Société française de Photographie au cours de l’année 1995-1996.
La nouvelle traduction de la Petite histoire de la photographie est l’occasion de faire le point sur les divers états d’un texte qui se révélera très important dans la genèse de la réflexion de Benjamin sur les rapports entre l’oeuvre d’art et la photographie. Écrit en 1931, la Petite histoire constitue un tournant dans la préparation de l’essai qui paraîtra en 1936 sous le titre de L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée. L’intérêt principal du travail d’André Gunthert se situe dans le travail critique des notes abondamment nourries des informations sur les matériaux d’élaboration du texte ; celui-ci apporte également de nombreux éclaircissements sur les approximations de W. Benjamin en matière de dates, de citations et de références historiques et techniques. Une bibliographie des textes de W. Benjamin sur la photographie et une liste des sources de la Petite histoire complètent très utilement cette édition.
Deux articles vont revenir sur cette question de l’authentique et du visible que posait l’irruption de la photographie et les nouveaux rapports qu’elle allait entretenir avec la science et avec l’art, Martha Braun évoque la figure trop vite oubliée d’Anton Giulio Bragaglia, qui se lia en 1913 aux futuristes avant d’être rejeté par eux. Auteur du manifeste Fotodinasmismo futurista, il postule contre la répétition du statisme de la chronophotographie dans la reproduction du mouvement de Marey, et défend l’énergie de la trajectoire et la capacité d’interprétation de l’appareil photo. Il se passionna ensuite pour les investigations spirites et photographia esprits, fantômes et autres fantasmes. Image scientifique et image onirique se mêlent aussi dans l’histoire du rôle de la photographie dans l’établissement de la météorologie comme science. L’appareil photographique permit en effet d’établir non seulement une nomenclature des nuages en saisissant l’insaisissable mais également d’établir une vision dynamique du ciel. Luce Lebart nous rappelle que vers 1920, lors de « Semaines des nuages » organisées par les météorologistes, tous les amateurs, en de multiples points du territoire (national puis international) étaient invités, au même moment, à photographier le ciel. La nécessité de disposer d’objectifs capables de saisir la voûte céleste permit à la photographie de faire des progrès techniques tels que la réalisation de grands angulaires.
L’émergence de la photographie accompagne un autre progès technique, le développement du réseau ferroviaire. Si la photographie contribua à mieux comprendre les phénomènes de la vision ferroviaire, nous raconte Clément Chéroux dans « Vues du train », elle fascina aussi nombre d’artistes curieux de saisir la nature dans une problématique inversée de la reproduction du mouvement : il ne s’agit plus, à partir d’un point fixe, de saisir tout ce qui bouge (l’instantané), mais de bouger (à l’intérieur de ce qui serait la métaphore de la chambre noire) pour fixer à grande vitesse une nature immobile (qui se défile…).
Toutes ces questions du rapport de la photographie à l’art, aux sciences et aux techniques émergeront très vite dans la première revue de critique photographique évoquée par Emmanuel Hermange dans son article sur La Lumière, qui, créée en 1851 par la Société héliographique, paraîtra les premières années sans photographies faute de techniques pour les imprimer de manière fidèle – et rendra compte d’images que le lecteur ne peut voir ni sous forme d’expositions ni en reproduction ; une chance pour les rédacteurs qui peuvent faire preuve de l’imagination la plus débridée!
Le mérite de tout cet ensemble est de montrer que la photographie a toujours associé recherche scientifique, pratiques poétiques et artistiques, esthétique et technique, savants et amateurs. Figurent aussi au menu de ce copieux numéro, l’inventaire des albums photographiques du musée de l’Homme, des notes de lecture et le sommaire, plein de promesses, du numéro 2. Nombreuses illustrations, à noter des vignettes représentant une série d’appareils Kodak de 1909 ; il s’agit sans doute d’un discret hommage à la société qui a bien voulu apporter son concours aux fondateurs de la revue…
Notice de la revue