L’Animal

par Éric Dussert
1996, in La Revue des revues no 22

Alors que la philosophie descend dans la rue et transforme les cafés en débits de débats, des professeurs de philosophie lorrains ont inauguré au printemps 1996 une revue d’idées, L’Animal, dont le sous-titre, « Littérature, Arts & Philosophies », manifeste le souci de donner matière à penser.
C’est sur ce principe que le volume inaugural de L’Animal trouvait une définition de son activité dans « l’appétit de revoir […] par morceaux, quelque histoire de l’homme ». Sous la direction de Thierry Hesse, la revue devient une « machine qui nous évite d’être impatient », un lieu de réflexion où sont exposés des arguments et des sensibilités à partir desquels la nécessaire sédimentation des idées peut s’opérer.
Sur ce point, L’Animal n’est pas un ours. Il est même bon compagnon puisque son format généreux supporte une mise en page dense, meublée de notes marginales ou infrapaginales. En outre, celui-ci laisse un espace vierge de papier souple qui offre au lecteur d’apposer ses propres commentaires… L’objet est donc parfaitement adapté au projet. Quant aux sommaires, thématiques, ils reposent sur un entretien autour duquel gravitent des interventions variées. L’Animal assure au colloque philosophique les intermèdes de la chronique et des fictions. Soit un panorama ouvert qui prend au fil des pages l’allure d’une leçon à plusieurs voix.
Le premier numéro était consacré aux notions de « Richesse et pauvreté ». On y débattait d’une harmonie toujours à venir avec l’économiste François Rachline. Daniel Payot et Pierre Bocéréan élaboraient une définition de la pauvreté dans la familiarité des écrits de Benjamin, Marx ou Derrida. Hermann Ungar, Eugène Savitzkaya, Jude Stéfan, Jérôme de Gramont, Alain Sevestre et Francis Marmande illustraient le propos, sans oublier les photographies de Patrick Kuhn et Frédéric Cornu.
Clin d’oeil à la Série noire, le deuxième numéro arbore une couverture jaune pour évoquer « Les Instruments du crime », un inventaire de « ce qui fait outrage à l’Homme ». Cette fois L’Animal accorde plus de place à la création littéraire sans perdre de vue la mise en perspective qui assure sa cohérence. Dans l’entretien, Myriam Revault d’Allonnes évoque la nature criminelle de l’homme et son rapport au mal politique, Michel Piclin transmet des notations morales et Philippe Woloszko fait la synthèse des idées philosophiques sur la question. Jean-Philippe Bareil se penche sur l’oeuvre de Primo Levi et Jean-Pierre Marchand présente l’inattendu Adolf Loos, architecte allemand (1870-1933) qui était convaincu du lien essentiel qui existe entre le crime et l’ornement. Avec, en outre, deux lettres de Primo Levi à Jean Samuel, le « Suicide d’un Chat » d’Albert Ehrenstein et les textes de François Bon, Olivier Barbarant ou Bruno Sibona, on constate que cet Animal mérite d’être apprivoisé.


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