par Fabrice Jonckheere
2003, in La Revue des revues no 34
Le mot « média » désigne étymologiquement « un lieu accessible ou exposé au regard des autres » Et c’est à cette transparence que nous convie ce premier numéro de la revue Le Temps des médias. Publication à vocation historique – comme en témoigne non seulement la composition du comité de rédaction mais aussi un prestigieux comité scientifique – elle s’émancipe des seules approches sociologiques pour utiliser tous les outils forgés par les sciences humaines. Ainsi entend-elle s’inscrire dans une démarche intellectuelle novatrice.
« Tabous et interdits » constituent le corps principal de cet opus. Ce faisant, Le Temps des médias s’engage sur les traces d’une des polémiques les plus vives concernant la presse sous toutes ses formes. Qu’en est-il de la censure aujourd’hui, dans une société qui se revendique comme ouverte et émancipée ? Les médias constituent en effet un moyen d’expression mais aussi un intermédiaire de l’information : ils sont donc leurs propres censeurs. Ou peut-on placer alors la notion d’objectivité si ces mêmes moyens de communication constituent un écran entre l’émetteur de l’information et son récepteur ?
C’est autour d’un thème des plus complexes que la revue choisit d’articuler la question : la sexualité et par extension, la pornographie. La revue entame une histoire culturelle de cette dernière dans un soucis de contextualisation et de mise en perspective sociale. Frédéric Bas et Antoine Gerba rappellent ainsi les propos d’Alain Robbe-Grillet affirmant dans les années 1970 « qu’en la matière, la pornographie est l’érotisme des autres ». La conception que l’on peut avoir de la chose n’est donc que le corollaire de l’évolution des mentalités.
Les articles suivants, sur l’homophobie et les nouvelles modalités de la censure, témoignent, non d’un abandon progressif des présupposés ou valeurs morales mais de leur transmutation plus ou moins déguisée.
La presse et le cinéma ont-ils en effet vocation à tout montrer sous prétexte de réalisme et d’impartialité ? La mort de Jacques Mesrine sous l’œil des caméras constitue, selon l’historien Bruno Bertherat, par sa mise en spectacle, un rappel des valeurs d’ordre. Le discours prodigué n’apparaît donc pas tant dans la plus ou moins grande exhaustivité de ce que l’on montre mais surtout dans la manière dont on présente l’événement.
L’Internet, en dépit de sa structure mondiale ouverte, ne déroge pas à cette règle, constate la chercheuse Myriam Marzouki. Par censure, cette dernière entend « tout acte visant à créer un consensus non désiré ». Or, même dans ce cas précis, se mettent en place des procédures législatives pour restreindre l’accès à ce qui et autorisé. Fi des illusions donc !
Cet ensemble d’articles a le grand mérite de nous montrer l’adaptation permanente des conceptionss idéologiques et des comportements sociaux aux techniques de communication sans cesse en évolution.
On appréciera également la seconde partie intitulée « Territoires d’études ». Remonter au fondateur du journalisme, Théophraste Renaudot, semble être une initiative à saluer. En une trentaine de pages nous est rappelée l’histoire de la presse et de son éthique des origines jusqu’au XXe siècle. Renaudot ne concevait-il pas ses publications comme « épurées de toutes autres passions que celle de la vérité ? » Mais sa gazette n’en constituait pas moins une littérature de combat au service des Bourbons puisqu’il la qualifiait lui-même de « journal des rois et des puissants de la terre ». Voilà donc de quoi alimenter le débat sur la pertinence d’une censure consubstantielle à l’information.
Outre une rubrique « Entretiens » – avec, Michel Polac dans cette livraison –, les dernières pages de la revue constituent enfin un véritable guide à l’usage de celles et ceux qui désirent approfondir la question puisque sont chroniqués les travaux universitaires les plus récentsq, les publications scientifiques récentes et les références et sites de consultation en lignes.
Le grande vitalité et originalité de ce périodique bimensuel incite à lui souhaiter longue vie car, pour paraphraser Renaudot, nous pourrions affirmer que « sa publication est en effet nouvelle […] mais cette nouveauté ne peut lui acquérir que de la grâce ».