par Anthony Dufraisse
2007, in La Revue des revues no 40
1977 : au cinéma sort Le Diable probablement, Robert Bresson derrière la caméra. Voici que trente ans plus tard une revue sobrement habillée de bleu s’affiche sous ce même titre en librairie. Bulletin d’études bressoniennes ? Revue de cinéphile ? Ni l’un ni l’autre : « Le Diable probablement est une revue politique », affirme d’emblée Anaëlle Lebovits, diablesse en chef. Ajoutant immédiatement : « Elle n’est affiliée à aucun parti. » Bref, politique mais pas politisée. Ne rien cautionner du monde comme il va sans l’avoir au préalable questionner, c’est toute la raison d’être de cette revue, qui annonce quatre livraisons annuelles.
En réaction à une certaine apathie propre au bien-être démocratique qui règne chez nous (chez nous : en France et, plus largement, en Europe), cette revue est née de la rencontre entre des étudiants qui n’ont pas 30 ans et qui se cherchent plutôt du côté de la psychanalyse.
Prenant vue sur les horizons variés de l’actualité, cette revue ne constitue pas un répertoire de savants travaux pédantesquement fermés sur eux-mêmes, mais un panorama de questions ouvertes et d’inquiétudes à vif. Car le souci de la chose politique et des affaires du monde rend bien à raison nos amis soucieux. Où que se portent leurs regards sur la scène internationale (qu’il s’agisse des rapports troubles du Japon à sa mémoire, de la situation politique en Tchétchénie ou du nucléaire iranien), toujours il s’agit d’investir un théâtre des opérations conflictuel. Dans un registre plus artistique mais non moins politique, on trouvera d’autres entretiens fouillés, l’un avec le lacanien Wacjman autour de l’art contemporain, ou cet autre, avec la comédienne Dominique Valadié, qui consiste en une évocation vécue de l’intérieur du théâtre d’Edward Bond… En tout état de cause, il s’agit moins, pour la douzaine de participants ici réunis, invités de passage ou piliers, de livrer une expertise de fond que d’explorer et d’exposer, de biais ou de front, et à titre (parfois très) personnel, des situations ouvertement problématiques ou implicitement symptomatiques qui font question.
Tantôt la revue sonne l’alarme, tantôt la charge, tantôt les cloches, et globalement ça ne sonne jamais creux. Si donc une certaine passivité « défait l’homme de sa responsabilité », comme le dit Guillaume Roy, l’une des têtes pensantes de la revue, pour autant la simple protestation et l’indignation ne suffisent pas (ou plus) à exister politiquement. Il faut durablement, intellectuellement, se tenir sur ses gardes. C’est bien à l’institution d’une vigilance (ré)active, constructive et si nécessaire offensive, que cette revue et ses animateurs « enfants des années 80 » entendent oeuvrer. L’intempestivité raisonnée plutôt que la rouspétance systématique. Ici, chacun témoigne de son désir de faire de ce monde un lieu dont nous puissions dire « J’en suis ! » Qu’on se le dise : cette diablesse de revue est sur le qui-vive. Qui l’aime la suive.