La Nuit

N° 1, octobre 2006

par Éric Dussert
2007, in La Revue des revues no 40

Ostensiblement noire, La Nuit a choisi une couverture aux allures romantiques pour recueillir le fruit de ses efforts. Des articles, des illustrations et jusqu’à des fictions s’y associent pour exprimer un mécontentement profond que rien ne retient de jaillir, ou qui s’est, plus simplement, donné les moyens de jaillir. Depuis l’éditorial jusqu’à l’achevé d’imprimer, cent douze pages portent une désillusion dénouée et cependant vive, troussée en propos contondants contre la presse, ou en dénonciation de « Notre pauvre réalité », du grégarisme et de l’académisme. Dès le liminaire consacré à ce « monde en feu », La Nuit semble partager les analyses situationnistes avec, sans doute, un souci littéraire et esthétique beaucoup plus marqué. Mais la manipulation des foules, la mise en évidence de la « sursimplification » des discours destinés aux peuples et du tout-à-l’égout de l’industrie culturelle rejoignent la vague de réaction contre l’infantilisation des masses. Trente ans plus tard, une génération après, la preuve est faite une fois encore que l’histoire est cyclique. Les écrits de Léon Bloy et de Karl Marx, appelés ici en renfort, s’intègrent ainsi parfaitement dans cette Nuit militant contre la perpétuité des défauts de la race humaine. Pour autant, l’obscurité n’est pas totale car dans les ténèbres veillent lampes et loupiottes : Auguste von Cieszkowski et sa philosophie de l’histoire, l’Américain Hermann Melville ou le Mexicain Abigaël Bohorquez (1936-1995) et leur poésie, apportent avec Henri Galinon, qui souscrit au récit de naufrage – celui de notre époque – sur une idée du directeur de la rédaction, apportent un baume à cette livraison désabusée et, partant, révoltée. C’est bel et bien une revue menée par des esprits rétifs au monde que celle-ci. Et d’ailleurs, « La revue La Nuit n’a pas le téléphone », mais elle s’enflamme tout azimut. Il y a trente ans, on se targuait d’avoir des idées pour pallier au pétrole, La Nuit propose aujourd’hui de la culture pour combler les lacunes morales et sociales de notre époque. La gageure est colossale.


Partager cet article