Hétérographe

Revue des homolittératures ou pas :

par Yannick Kéravec
2008, in La Revue des revues no 42

Avant d’en arriver à la revue considérée, ne pas la confondre avec Art Le Sabord (1), revue d’arts québécoise créée en 1983 , et surtout la revue de création parue cette année 2009, portant le titre Hippocampe (2).
Car il y a un hippocampe : ôtez la jaquette, pardon, le bandeau de titre, d’un vert acide, rien que ce dessin n’occupe la couverture, d’or sur fond gris. Et pourquoi l’hippocampe ? Parce que, dans cette espèce, c’est le mâle qui porte les œufs. Et ce dessin, silhouette, présente un ventre vide, réceptacle disponible pour les articles à venir. Donc un manifeste pour l’homoparentalité ? Pas même, ou peut-être, mais là n’est pas le propos.
Replacez le bandeau, voici Hétérographe Revue des homosexualités ou pas :
Pas de coquille (et sans allusion au monde aquatique) : la revue tient à ces deux points, ouverture à bien des possibles, comme le ventre sus-cité.
Dans le paysage des revues francophones, elle rejoint donc l’unique Inverses (3) , dans un format plus ramassé, et plus tournée vers la création littéraire. Moins de cent pages sobrement mises en page, où se glissent des marque pages, créations pour ce numéro de Lara Lemmelet, photographies oblongues, à découper éventuellement. Chair ou poisson, lard ou cochon ? Organiques en tous les cas, troublantes et méconnaissables, obscènes ou cliniques, faisant émerger lait ou laitance, méats et poils, peaux et matières entre ces pages sérieuses.
Car c’est une sérieuse entreprise, découpée classiquement en quatre parties, Écritures, Entretiens, Réflexions et Lectures. La première partie présente ainsi des de courts textes, extraits, premières traductions ou créations, n’excédant pas 5 pages si ce n’est pour Sandro Penna et son Autobiographie au magnétophone, une dizaine de pages qui se poursuivront dans le prochaine livraison. On y trouve Fabio Pusterla, Philippe Rahmy, Emma Donoghue, Händl Klaus, Olivier Sillig et Célia Houdart, prose, poésie, théâtre mêlés. Deux Entretiens avec Jack Halberstam et Tommaso Giartosio, auteurs d’essais sur la masculinité et sur littérature et homosexualité en Italie précèdent trois Réflexions où François Cuisset, Martine Hennard Dutheil de la Rochère et Alain Perroux traitent de théorie queer, de la relecture des contes de fées (revoilà Emma Donoghue) ou d’opéra. Hétéroclite ! La partie Lectures est intéressante. Là où Inverses effectue annuellement une recension foisonnante, Hétérographe s’affranchit de l’actualité éditoriale et propose neuf comptes rendus de livres parus entre 1982 (Quartett de Heiner Müller) et 2008, romans, poésie, essais, pas seulement pour constituer une idéale bibliothèque : Les hommes viennent de Mars…, de John Gray y est ici relu pour servir de contre-exemple d’un succès de librairie véhiculant l’hétéronorme.
Si l’on se penche sur l’ours, les membres de la revue viennent d’horizons aussi divers que l’écriture, la traduction, le journalisme, le théâtre, la poésie, la théologie, l’enseignement des lettres, les études de genre ou… l’économie d’entreprise ! Hétérogène. Les études de genre restent largement dominées par les Anglo-saxons : nombre de textes de la revue – création ou essais – sont traduits de l’anglais. Pour les autres, la confluence des langues française, italienne, allemande s’explique par l’ancrage en Suisse. Cet hippocampe s’affranchira-t-il des rives du Léman pour aller à la rencontre de ses cousins des mers tempérées ou tropicales du globe ?
(1) http://www.lesabord.qc.ca/
(2) http://www.revue-hippocampe.org/
(3) http://www.inverses.fr/ Voir la Revue des revues no 32


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