par Charles Ruelle
2009, in La Revue des revues no 43
Les Cultural Studies – « champs de recherche anglo-saxon portant sur les rapports de pouvoir qui parcourent les cultures populaires » – colorent depuis une dizaine d’année le paysage universitaire, intellectuel et éditorial français. Les éditions Amsterdam et, plus particulièrement l’une de leurs émanations récentes, la Revue internationale des livres et des idées, ont joué et continuent de jouer dans cette évolution un rôle moteur. Aussi ne s’étonne-t-on pas de voir aujourd’hui un certain Maxime Cervulle, éditeur et/ou traducteur de Stuart Hall, Judith Butler et Eve Kosofsky Sedgwick au sein de la précédente maison, et Sébastien Martinez Barat, par ailleurs co-rédacteur en chef de la revue d’architecture face b qui envisage l’architecture comme « un média de masse », présider respectivement à la publication et la rédaction de la nouvelle revue Poli : politique de l’image dont le projet s’inscrit de manière entièrement assumée sur ce terrain d’étude.
Si le projet d’origine des fondateurs était d’éditer une revue de cinéma, il s’est modifié en suivant l’évolution « des outils et des formes visuelles, audiovisuelles et interactives ». Ainsi qu’on peut le lire dans un premier article exposant les enjeux de la revue, « ce mouvement correspond au déplacement en cours de la position de spectateur à celle d’acteur d’une culture participative nouvelle : Poli se propose de l’accompagner » en s’avançant sur le terrain des « images actuelles qui, du cinéma à la téléphonie mobile, du Web à la photographie, du jeu vidéo à la télévision, reconfigurent nos pratiques culturelles […] [en cernant] l’empreinte des discours politiques et micropolitiques sur les écrans qui nous entourent, interrogeant aussi bien les tensions postcoloniales qui traversent les pratiques vidéoludiques que les nouveaux régimes de consommation des icônes Pop. »
« Postcolonial » : le terme est lancé, affiché en couverture de ce premier numéro, assaisonnant le titre d’un dossier sur le « Gaming postcolonial » : « Géopolitique du jeu vidéo »… La sauce pourrait s’avérer facilement peu goûteuse (mais jusqu’où les études postcoloniales iront-elles se loger ?) si la pertinence de cette thématique ne se justifiait pas de la longue polémique d’accusation de racisme qui a suivi le lancement de Resident Evil 5 et sur laquelle revient habilement Sébastien Martinez Barat en en détaillant les divers enjeux ; ou si nombre de jeux très populaires comme Call of Duty 4, souvent réalisés en lien avec l’industrie militaire américaine (« complexe militaro-industriel »), ne constituaient pas, selon l’interprétation certes radicale de Johan Hoglund, un « moyen pour légitimer les ambitions néocoloniales américaines ». La réduction d’une dimension néocoloniale aux seuls jeux américains de type military shooter étant toutefois répandue, l’article de Mehdi Derfoufi sur les représentation orientalistes néocoloniales du jeu français Syberira, créé par le dessinateur belge Sokal, ou d’Assassins Creed, par le Marocain-Canadien Mohamed Gambouz, vient nous prévenir de cette tentation trop facile.
Un second dossier consacré aux bouleversements des industries culturelles – ou désormais « créatives » car « participatives » par le biais d’Internet – au travers de la figure de Britney Spears, ainsi qu’un long entretien avec Henry Jenkins, professeur de Media Studies au MIT, viennent compléter un fort riche numéro.
A la manière des revues TINA ou Inculte, Poli s’incarne dans un agréable format poche qui procure un confort de lecture appréciable. Elle se double d’un site Internet qui doit venir compléter la version papier et accueillir la version étendue de certains articles (si les promesses sont tenues…). Un regret tout de même : qu’aucune image – malgré les clichés de La Ville rayée – ne vienne illustrer directement les analyses menées dans les contributions. Contraintes techniques et droit du copyright l’expliquent certainement. Il suffira certes d’ouvrir Voici ou se rendre sur les forums Web cités pour croiser Britney Spears (une gageure, vraiment ?). Pas sûr toutefois que l’univers visuel des jeux évoqués soit aussi répandu que leur succès populaire veut bien le laisser croire…