par Annie Chèvrefils Desbiolles
2011, in La Revue des revues no 45
Son titre Volume est déjà un programme : faire œuvre encyclopédique en produisant au fil des numéros une somme sur l’art sonore, et ouvrir le champ de l’art contemporain en explorant « le son sous toutes ses formes (musique, bruit, vibration, etc.) ».
Le mot « forme » est à prendre ici dans son acception plastique, car l’originalité du projet éditorial de Volume est de ne pas être une revue musicale, ni même une revue d’art sonore, mais de s’affirmer comme une revue d’art contemporain, entièrement consacrée au(x) son(s). La nuance peut paraître byzantine ; aussi est-elle explicitée dans l’éditorial de ce numéro inaugural signé par les rédacteurs en chef de la revue. Raphaël Brunel et Anne-Lou Vicente précisent que ce premier Volume « interroge les frontières souvent troubles entre l’art sonore et l’art contemporain intégrant le son comme médium ou simple référent ». Le son est donc le prisme qui permet une lecture originale de l’histoire de l’art et donne une grille d’interprétation de propositions artistiques contemporaines. Un texte historique comme celui de Rahma Khazam qui s’aventure à retracer « une brève histoire de l’art sonore », ou des notes signées par Christophe Gallais à propos de Pendulum Music, une œuvre-clef de 1969 du compositeur américain Steve Reich, côtoient des monographies consacrées aux artistes Georgina Starr (née en 1968), Joachim Schimd (né en 1955), Laurent Montaron (né en 1972) ou Su-Mei Tse (née en 1973), des « interviews » et des « analyses » d’expositions.
L’historienne Rahma Khazam ouvre donc le sommaire et souligne d’emblée que l’usage et la signification de l’expression d’ « art sonore » recouvrent des mouvements et des activités fort différents. La nature fondamentalement hybride de l’art sonore explique, selon l’auteur, sa tardive reconnaissance. Cet art entrerait en contradiction avec les théories modernistes qui rendent exclusif l’un de l’autre l’art du temps (auquel appartiennent la musique et la littérature) et l’art de l’espace (la peinture et plus généralement les arts plastiques). Cette taxinomie des arts d’essence moderniste, aurait nuit à la compréhension unifiée des arts du son. Réhabiliter le son à l’intérieur du langage des formes plastiques serait donc une manière de relire l’histoire de l’art en en révélant une face cachée. Cela expliquerait pourquoi la catégorie de l’art sonore ne serait apparue que dans les années 80, en exerçant une extension des limites du champ de la musique au bruit. L’historienne cite à l’appui de sa thèse l’éditeur de « l’anthropologie Sound by Artists », Dan Lander, qui militait encore en 1989 pour la constitution d’un art du son intégrant « la voix de votre amant, un atelier d’usine, le journal télévisé (…) riche d’un contenu et d’une signification distincts du contenu et la signification propres à l’expression musicale ».
On s’étonne que Rahma Khazam ne fasse aucune référence aux œuvres de Luigi Russolo qui édite en 1913 son manifeste « l’art des bruits » et met au point ses « bruiteurs », grosses caisses colorées qui font entendre des motos, des autos, des voix humaines, autant de bruits qui donneront naissance à des œuvres comme « Réveil de Capitale » (1914). Ces œuvres libératrices du son qui inspireront les concerts « performances » à l’échelle d’une ville comme celui donné par Maïakovski et Gastev en 1918 à Saint-Pétersbourg dont le matériau unique était constitué de sons produits par des sirènes d’usines. Les utopies révolutionnaires du début du vingtième siècle construites sur l’idée d’un art total ont pour la première fois célébré le son pour mieux évacuer la mimésis sonore, elles trouveront leurs prolongements dans les années d’après-guerre aux États-Unis à travers notamment les recherches d’un John Cage cherchant également à désarçonner la toute puissance de la subjectivité et à faire de la musique un exercice d’éveil ! L’absence totale de références à ces mouvements transdisciplinaires – du futurisme au « Black Mountain College » – qui ont donné naissance à l’art de la performance et du happening est troublante. Elle peut s’expliquer par le ton résolument théorique de la revue en étroite relation avec l’intérêt porté à la jeune génération de plasticiens sonores qui font l’actualité depuis quelques années, de Pascal Broccolichi (né en 1968), à Dominique Blais (né en 1974) dont une œuvre illustre joliment la première page de couverture.
Un territoire où se pense l’art d’exposer le son – de la Villa Arson de Nice à la galerie Frédéric Giroux de Paris – balise le projet éditorial de la revue. Ainsi l’exposition emblématique « 23’17’’» à Mains d’œuvres à Aubervilliers qui rassemblait à l’automne 2009 Pascal Broccolichi, Dominique Petitgand et Jérôme Poret, est largement commentée dans le cadre d’une interview avec Kerwin Rolland, ingénieur acousticien. Issu du monde musical, celui-ci dénonce le fait que « l’art sonore est un terme galvaudé ». De nombreux artistes, explique-t-il, qui « cherchent à s’affranchir de l’IRCAM et des grandes écoles allemandes, italiennes et américaines, travaillent encore sur des systèmes standardisés de diffusion musicale et ne perçoivent la sculpture que comme une sculpture du son sans proposer de réflexion sur les formes spatiales ou conceptuelles que peuvent revêtir le son et ses représentations. » Il insiste sur la distinction qu’il y aurait entre des pratiquants d’un art sonore « sous forme de field recording ou de pièces radiophoniques, véhiculées par des hauts parleurs standard » et des artistes qui fabriquent des objets pour diffuser le son. Afin d’illustrer son propos, il rend compte de son travail de collaboration avec Jérôme Poret avec qui il a fabriqué « une enceinte unique, calibrée pour diffuser un seul son ».
On pourrait avancer, d’une manière quelque peu synthétique qu’il s’agit pour les artistes du son de matérialiser plastiquement l’écoute et d’ouvrir ainsi des voies qui sont présentées dans Volume de manière trop exclusives et trop radicalement nouvelles. L’ensemble des textes de la revue, qui cultivent malheureusement bien trop systématiquement l’hermétisme, sont très agréablement entrecoupés d’« interludes », des interventions plastiques de Dominique Petitgand (né en 1965), Jérôme Poret (né en 1969), Samon Takahashi (né en 1970), Nicolas Fenouillat (né en 1978). Introduits par une brève introduction à la démarche de l’artiste, ces présentations d’œuvres enrichissent les points de vue multiples que souhaite développer Volume sur la manière dont le son travaille les représentations visuelles. L’exemple le plus réussi et le plus spectaculaire est l’image photographique d’un alignement de tranches de disques de Jérôme Poiret qui utilise avec justesse le pli central de la revue. Les photographies qui occupent deux doubles pages, se présentent de manière énigmatique comme un alignement de tableaux sériels de peintures minimales. Les objets photographiés (les disques) et le rythme chromatique des images sont d’une belle efficacité visuelle.
La recherche d’une légitimité théorique à ces travaux artistiques aux sources les plus variées, nuit à l’ambitieux projet de la revue Volume. Celle-ci a pourtant tous les atouts et les soutiens institutionnels (elle a obtenu l’aide financière du Centre national des arts plastiques, Ministère de la culture et de la communication) qui lui permettraient d’être le forum de réflexions d’écoles de pensées et de mouvements artistiques divers autour de la question du son exposé. Les trop succinctes présentations des artistes en dernière page pourraient être utilement étoffées par une biographie brièvement commentée, comme pourraient l’être également celles des auteurs. Ainsi, de manière simple et pédagogique d’un numéro à l’autre de la revue, la scène contemporaine de la création et de la recherche d’un art plastique du son pourrait prendre forme sans négliger les sources et les mouvements voisins de ce qui reste une catégorie artistique fondamentalement ouverte.