Après la lecture roborative de l’article de Guillaume Louet dans La Revue des revues n°53, l’esprit de suite le plus élémentaire invite à s’emparer rapidement d’une de ces revues d’amis dont il nous a proposé un panorama si vivifiant.
Dans le grand brouhaha du Salon du livre, il n’est malheureusement pas sûr que l’on se soit assez avisé de ce que nous offrait Midi. La revue conduite par Françoise Champin consacre un de ses tirés à part à Guy Dumur (1921-1991), alors que la sœur du diligent chroniqueur du monde théâtral est récemment décédée, en novembre 2014.
Tout en donnant une large place à des textes de création et à de belles reproductions de tableaux, de sculptures, de photographies, Midi est pour partie un cahier d’amis masqué, qui tient ferme le fil – parfois à peine perceptible pour le profane – traversant les jeux complexes de relations intellectuelles et affectives autour de Colette ou René Allendy et de Suzanne Tézenas.
Cette dernière, dont Bernard Champin est le neveu, a été une grande mécène, dont on sait trop peu qu’elle a contribué à la fondation des « Concerts du domaine musical » sous l’impulsion de Pierre Boulez (1954) ; elle accueillait aussi de nombreux artistes et écrivains dans son appartement de la rue Octave Feuillet et en Haute-Savoie, dans sa maison de Veyrier-du-Lac. Une notice de Bernard Champin en établit la liste très impressionnante.
Dans ce tiré à part, comme dans Midi n°42-43, on peut voir une très belle photographie prise durant l’été 1955 dans cette villégiature aux allures de grand chalet : au milieu des herbes folles, une belle société se côtoie. Il y a là Elena et Octavio Paz, Bona (toujours splendidement prédatrice, une fleur fraîche dans les cheveux) et Pieyre de Mandiargues avec Guy Dumur et Suzanne Tézenas.
En 1963, à la sortie de La Motocyclette de Pieyre de Mandiargues, Guy Dumur commente et discute avec précision le livre de celui qu’il nomme un « Mallarmé humoriste », épris de bizarreries et sachant comme nul autre conduire le lecteur, à la vitesse d’une moto de grosse cylindrée, dans ces replis scabreux à jamais préservés de l’érotisme de pacotille. On lira aussi avec délectation le portrait magistralement enlevé d’Audiberti, lequel aurait pu être philosophe, mais qui ne put se résoudre à tant de lenteur et de frugalité verbale : « sa pensée allait trop vite ».
Même si on ne s’avoue pas aisément admirateur de Claudel, le Tombeau de l’auteur de Connaissance de l’Est qu’écrit Dumur en 1955 souligne avec une vigueur qui produit la conviction dans quelle mesure il a gonflé « la poésie de toutes ces forces vives » pour prolonger « le romantisme dans ce qu’il prétendait avoir de plus libre ». On pourrait certes ergoter, mais l’enthousiasme de Guy Dumur est si palpable que l’on a surtout envie – j’allais écrire plutôt que lire – de l’écouter.
A la mort de Suzanne, son amie, il écrit en 1991 : « Ceux qui sont venus dire adieu à Madame Suzanne Tézenas ce jour-là savaient que mourait avec elle le dernier symbole d’une civilisation qu’on ne connaîtra plus que par les livres. » Que je sache, peu d’ouvrages ont, à ce jour, rendu hommage à Suzanne Tézenas dans notre civilisation de salons du livre. Cependant, discrètement, mais résolument, Midi est là.
Jérôme Duwa