À Ent’revues on se plaît à penser qu’il n’est pas un domaine de la création qui échappe à l’ardeur et à l’inventivité des revues. A l’occasion de la deuxième édition de la manifestation, portée par le Ministère de la culture et mise en musique par le CNL, dédiée à la littérature pour la jeunesse Partir en livre, notre adage pouvait-il se vérifier ? Peut-on partir non pas en livre simplement mais aussi avec des revues, aérant les pensums des cahiers des vacances ? En somme, une invitation estivale à faire une cueillette parmi les milliers de titres que compte notre catalogue de revues en ligne…
Notre petite enquête a fait miroiter bon nombre de titres, aussi lumineux qu’audacieux. En voici quelques-uns.
À tout seigneur, tout honneur : on pense à Dada bien sûr. Qui aurait dit en 1992 que cette revue qui entend sensibiliser les tout jeunes mais aussi les adolescents à l’art aurait 24 ans après sa naissance préservé sa jeunesse (certes elle a connu bien des aléas éditoriaux : l’adolescence est un moment difficile mais elle rayonne toujours). Elle sait tout aussi bien parler de Pixar que de Warhol, l’architecture ne lui fait pas plus peur que Tinguely, elle n’hésite à pas à arborer en couverture l’urinoir du Duchamp ou les créatures effrayantes de Jérôme Bosch. Elle s’allie à l’actualité pour offrir des numéros dédiés aux grandes expositions : on lui saura ainsi gré de consacrer à Albert Marquet (une exposition splendide pour un peintre trop méconnu) une de ses dernières livraisons.
Restons dans l’art. Après l’aînée la cadette. Après la peinture et l’architecture, le cinéma : voici, née en 2015, Popcorn, la revue qui se fait des films, frêle publication nourrie d’une idée inédite. Popcorn s’adresse aux bouts de chou (du coloriage aussi et une glose très réduite) qu’il n’est jamais trop tôt de sensibiliser aux images. 6 numéros au compteur : City Light, Jason et les Argonautes, Chantons sous la pluie, Star Wars, Mon Oncle, King Kong. Pour que l’aventure de Popcorn ne tourne pas au court métrage, souhaitons-lui que les bibliothèques s’y abonnent en masse. Au fond – et c’est le talent premier de bien des revues – ne vient-elle pas combler un manque, réparer une lacune ?
Petite réflexion au passage : voici des revues qui, sur des terrains en principe réservés aux adultes, prennent la main des plus jeunes. Un beau défi que l’inventivité graphique, la fantaisie dessinée conjuguées à la simplicité du langage utilisé leur permet de remporter.
Initiation à l’histoire de l’art, initiation à l’histoire du cinéma, initiation à l’histoire de la littérature. C’est ce que tente, de manière très classique, la jeune revue TétrasLire (qui « donne des ailes à la lecture ») publiée par les éditions Alba Verba en offrant de courts récits « de grands auteurs pour de petits lecteurs » : Rudyard Kipling, Oscar Wilde, Horacio Quiroga ou Maurice Leblanc.
L’art, disions-nous. Et si c’était la revue elle-même qui était chef d’œuvre.
Voici une merveille : Georges, publiée par les Éditions Grains de Sel, qui s’adresse aux enfants de 7 à 12 ans. Autour d’un thème, des histoires, des jeux, des rubriques-à-brac, le tout porté par le talent hors pair d’illustrateurs. Georges, c’est avant tout l’expérience jouissive du feuilletage avec son lot d’invention et de malice. Rencontrer Georges c’est assurément l’adopter et cela vaut même pour les plus grands, les adultes emballés par la découverte de jeunes dessinateurs ou amoureux du graphisme.
Au rayon des merveilles, un moment de nostalgie. Il y eut naguère un bijou ciselé par Valérie Rouzeau, poète magnifique : il s’appelait Dans la lune et était publié par le Centre de créations pour l’enfance du Tinqueux. Quelque chose d’ineffable dans la beauté toujours recommencée de l’objet et dans la qualité des textes proposés. Une intelligence, une malice, une allégresse, une audace.
“Dans la lune est née d’une pensée, comme nous en discutions, pour les enfants des écoles qu’aujourd’hui encore en 2004 on assomme trop souvent avec des récitations aussi bêtes qu’insipides et cependant redoutables : ces écoliers-là ne liront jamais de poésie plus tard, définitivement rebutés par la pratique scolaire dont ils ne savent pas qu’elle n’a pour ainsi dire rien à voir avec l’art qui nous bouleverse, nous émeut, nous grandit. Dans la lune s’adresse aux gaillards et gaillardes de cinq à cent dix-sept ans : pas mollir !”
Ah, c’est sûr rien de bêtifiant à lire Jacques Demarcq, Bertrand Bretonnière, James Sacré, Antoine Emaz, Sabine Macher et même Cummings… Chaque numéro était confié à des graphistes qui en assuraient l’habillage : ainsi une nouvelle livraison était une invention totale, un bonheur de découverte. Bouché bée. Allez on se dépêche, si la revue n’est plus éditée aujourd’hui, les 22 numéros publiés entre 2004 et 2011 ainsi que le hors-série Manifeste pour le droit d’être dans la Lune sont disponibles auprès du Centre.
Allons pas trop de tristesse quand même, le Tinqueux n’a pas abandonné l’idée d’une revue pour enfants. Désormais sous la houlette de Fabienne Swialty, le Centre publie Va ! qui là encore mêle création littéraire et graphique.
Un beau titre que ce Va ! encouragement à la découverte, à l’aventure, à la création. Oui, peut-être finir sur cette note : il y a, quand on quitte les rives de l’enfance, une embarcation qu’on peut aisément conduire, une cabane qu’on peut construire sans trop de peine, elle a pour nom « revue ». N’est-ce pas là une œuvre de jeunesse, quand on croit sa parole inédite, qu’on s’essaye à écrire, à créer, quand on cherche un premier lecteur. On pourrait ainsi remonter le temps ou l’anticiper peut-être : pour deviner que la plupart des écrivains, parfois adolescents encore, ont partagé et partageront demain dans le compagnonnage d’une revue : c’est à 15 ans et demi qu’Arthur Rimbaud envoie ses poèmes à une revue pour y être publié. Petite énigme pour grands enfants : y parviendra-t-il ?
Pour les jeunes plumes, la revue demeure, comme elle le fut hier, un lieu nécessaire, un chaînon précieux. Qu’on y écrive, qu’on la lise, qu’on la fabrique, qu’elle vous inspire et vous nourrisse.
Dans un texte magnifique aux accents proustiens, Jean-Yves Masson, poète, universitaire, éditeur, traducteur écrit : « Quand j’y pense, il est tout à fait extraordinaire que soit arrivé entre mes mains pendant une de mes nombreuses maladie d’adolescence, un numéro de la revue Le Nouveau Commerce dont je me souviens avec une intensité extraordinaire […] » (in La Revue des revues n° 5o). Ce numéro 30-31 du Nouveau Commerce lui fera découvrir Levinas, Blanchot, et « deux merveilles », des textes de Leonora Carrington et Karl Kraus qui allaient bouleverser sa vie. Les revues comme autant de madeleines. Quelques années plus tard,à 23 ans, Jean-Yves Masson sera publié dans La Nrf et peu de temps après créera la revue Polyphonies.
La revue comme une genèse, comme une jouvence, comme une échelle, un passeport. Partir en livre (en souvenant que la plupart de ces auteurs de livre sont nés en revue) et, peut-être dans un coin de sa tête, revenir avec une idée de revue…