Sobriété. C’est le mot qui vient immédiatement à l’esprit pour évoquer Les Moments littéraires et sa 37e livraison. Sobriété de la maquette, du ton, du propos. C’est avec infiniment de pudeur qu’il convient d’aborder les territoires de l’intime, qui sont le domaine de la revue dirigée par Gilbert Moreau. Une sobriété qui n’exclut pas (mais au contraire rend possibles) la profondeur du propos, la pertinence des analyses, les développements les plus brillants sur les œuvres et sur les auteurs. Et qui n’exclut pas même la véhémence, comme en témoignent dans ce numéro les prises de position radicales, dans des perspectives totalement opposées sur le plan politique, de Pierre Bergounioux et de Claude Michel Cluny. On peut exprimer des opinions tranchées, pourvu qu’on se tienne dans les limites de cette élégance qui est comme la marque de fabrique de la revue, et qu’on retrouve jusque dans ses choix typographiques.
Le dossier consacré à Marie-Hélène Lafon, qui occupe plus de la moitié du numéro, s’ouvre par une fine lecture par Mathieu Riboulet de l’œuvre de cette fille du Cantal. Une œuvre au cœur de laquelle il repère un certain nombre de « Déplacements », dont le principal est le départ de sa terre natale, dont elle ne cesse, livre après livre, de répéter le geste pour enfin l’accomplir et enfin l’annuler.
Suit un substantiel entretien accordé par M.-H. Lafon à Gilbert Moreau. Elle y revient en particulier sur son enfance et le « royaume » où se sont déroulées ses premières années, sur l’école et le rapport aux premiers livres, sur son lien vital à ce qu’elle appelle « les choses vertes » (le mot « nature » lui déplaît, qui est un mot de citadin). Gilbert Moreau évoque avec Marie-Hélène Lafon le paradoxe d’une œuvre autobiographique de bout en bout sans qu’aucun des ouvrages qui la composent corresponde exactement aux critères ordinaires du genre. Il l’interroge également sur ce monde rural, sur ce Cantal omniprésent. Et sur son rapport à d’autres écrivains aussi (vivants ou morts). D’autres thèmes encore sont abordés dans ce dense entretien de trente pages, mené de main de maître, qui donne le sentiment d’entrer véritablement dans l’intimité de l’écrivain en donnant des pistes pour se repérer dans son œuvre.
Un superbe inédit intitulé « Moments d’été », pages d’un journal tenu l’été dernier, permet d’apprécier la prose fine, subtile, délicate, savoureuse de Marie-Hélène Lafon. Le dossier se clôt par un texte de Pierre Bergounioux. L’écrivain s’y montre tranchant, comme à son habitude, et adresse à M.-H. Lafon un salut qui n’est pas confraternel mais, tout au contraire, fraternel.
Outre ce dossier en tout point passionnant, le numéro du premier semestre 2017 comprend un texte de belle tenue, dans lequel Georges-Olivier Châteaureynaud exprime toute la nostalgie que lui inspire feu le Quartier Latin. Un extrait du Journal 1992 de Claude Michel Cluny et la riche chronique d’Anne Coudreuse, consacrée cette fois-ci à Mémoire de fille d’Annie Ernaux complètent ce numéro, qui ne pourra que combler tout lecteur s’intéressant peu ou prou à la littérature.
Karim Haouadeg