Comme le temps passe vite : Rehauts, la revue d’Hélène Durdilly, fêtera bientôt ses 20 ans. Ce sera en 2018. D’ici là, feuilletons la 38e livraison de cette revue, d’une élégante sobriété toujours, à la croisée de l’art (le titre même, rappelons-le, renvoie à la pratique du dessin) et de la littérature. Il y a de bien belles pages dans ce dernier numéro et ce sont surtout des poèmes. Et d’abord ceux d’Umberto Saba (1883-1957), des inédits traduits par Thierry Gillybœuf. Souvent l’Italien convoque des souvenirs et il a une façon bien à lui, dénuée d’effets, de passer de la ferveur à la nostalgie. S’y entend la voluptueuse tristesse d’un cœur simple – rendant compte, dans une note de lecture, d’une récente anthologie des poèmes de Jean-Pierre Lemaire, Jacques Lèbre rapprochera d’ailleurs celui-ci de Saba : « il y a, dans cette poésie, une discrète force, de persuasion ou de conviction intime ». Intériorisant l’étrangeté du dehors, croisant le merveilleux et le naturel, une dizaine de sonnets de Robert Marteau (1925-2011), là encore inédits, ne sont pas moins touchants. Son regard, chaque fois, sur le monde autour de soi, a l’air d’exprimer une sorte de gratitude familière teintée de mélancolie douce. La plupart des autres contributions sont des textes assez inclassables, et plus ou moins convaincants, tenant qui du journal (Marie-Hélène Archambeaud), qui du fragment (Vianney Lacombe), qui du monologue (Catherine Benhamou). Signalons, parce qu’ils sont désopilants, les passe-temps suicidaires (vous verrez pourquoi) de Daniel Cabanis ou l’évocation, par Paul Louis Rossi, des « voyageurs qui se sont aventurés dès 1245 au-delà des marches européennes, vers les steppes, les plateaux asiatiques et les montagnes de l’Asie, de la Mongolie et du Tibet ». Pour sa partie plus artistique, la revue présente les créations de Philippe Richard et Philippe Compagnon. Si différents qu’ils soient, leurs travaux respectifs semblent vouloir questionner le thème de la répétition ; chez l’un une peinture reprenant, plus ou moins mouvant, un même motif pour occuper l’espace, chez l’autre des variations, sur le mode sériel et graphique, de ronds et de lignes. Et enfin un troisième Philippe, Boutibonnes, habitué des lieux, qui n’en finit pas de questionner le dessin, son périmètre et son intelligibilité.
Anthony Dufraisse