Voici une revue qui sort vraiment de l’ordinaire. Et pour plusieurs raisons. Son titre est déjà l’expression de sa différence. Sigila ne se veut pas exclusivement littéraire, mais « transdisciplinaire » (précision importante puisqu’elle ne se veut pas pluridisciplinaire : la notion de diagonale dans la connaissance est ici fondamentale). « Sigil », en anglais, signifie symbole. Je suppose que cela doit posséder à peu près le même sens pour les créateurs de la revue, mais en ajoutant le sens de « secret », qui est fondamental pour eux. Une partie de cette livraison est constituée d’ailleurs par une anthologie du secret, qui commence par un poème de Rainer Maria Rilke, extrait des Élégies de Duino. C’est déjà une singularité, mais tout n’est pas placé dans ces pages à l’enseigne du secret, et ce n’est pas du tout une publication ésotérique, loin s’en faut ! Le thème principal de cette livraison ( n°40, automne-hiver 2017) est le passage, dans toutes les acceptations possibles du terme. Ainsi, Diane Luttway a choisi de parler d’un passager clandestin et Michel Chandeigne, associé à Anne Lima, dialoguent sur la notion de passage du détroit. Quant à Delphine Bouit, elle creuse avec perspicacité les diverses significations du mot de passe. Jean-Michel Hirt, pour sa part, s’interroge sur la mort, ultime passage, ou terme d’un voyage. Camila Maria Cederna nous offre un court poème sur l’être de passage. Mais l’essai le plus intriguant est sans nul doute celui proposé par Christophe Loyer qui concerne Élie Faure et sa théorie du passage, qui est illustrée par plusieurs sculptures, dont celle d’un Cirque philosophique qui ne peut manquer de nous remette en mémoire le cirque de Calder. Il est à noter que les auteurs n’ont pas traité tous les sens possibles du « passage » et de tout ce qui en dérive : on se rend compte que le sujet est immense. Mais ce que ces écrivains nous proposent dans ce dossier est déjà une merveilleuse exploration d’un champ sémantique d’une richesse inouïe et plein de surprises. La qualité des réflexions qui sont proposées n’est jamais démentie. Ce qui est rare dans des ouvrages collectifs où le meilleur voisine avec le pire. Il est à noter que plusieurs de ces articles sont publiés en portugais : c’est une de ses curiosités, sans doute frustrante pour les lecteurs qui ne connaissent pas cette langue. Mais il ne s’agit là que de deux écrits. Il faut reconnaître qu’au-delà de cet étrange présupposé (mais qui ne manque pas de charme) Sigila est une revue où récits, poèmes, essais de diverses disciplines s’accordent à merveille pour former une investigation passionnante selon des registres très variés du thème retenu pour cette livraison. Je ne regrette qu’une seule chose : qu’elle ne soit pas mieux connue, car elle est véritablement un modèle en son genre. Mais son goût du secret y est sans doute pour quelque chose, n’est-ce pas ?
Gérard-Georges Lemaire