53 ans et toutes ses dents !

 

Le Coq-Héron a 53 ans, et toutes ses dents ! Pour une revue de psychanalyse, c’est plus qu’un exploit, un morceau de bravoure presque, tant il est désormais difficile de se faire le porte-voix d’une discipline, appelons-là comme ça, qui a, ces temps derniers, mauvaise presse et un tantinet mauvaise mine, décriée qu’elle est pour toutes sortes de raisons, et souvent les bonnes : qu’elle aurait tendance à s’occuper d’affaires qui ne la regardent pas, mettre son grain de sel là où ça grince, aller fouiller du côté des zones grises quand le noir et blanc l’emporte un peu partout. Que voulez-vous, on en veut de moins en moins de la psychanalyse, elle est dangereuse pour la santé de ceux qui la refusent, ou la refutent, bref, qui font tout le bruit qu’il faut pour ne pas l’entendre. Ça ne vous rappelle rien ?

 

Mais revenons à notre Coq-Héron à nous. Les sommaires sont à l’image de ce que le volatile a toujours été, ouverts à des sujets d’actualité, ou de société, souvent brûlants, et porteur de voix multiples, sans ostracisme aucun. Ici les freudiens côtoient les kleiniens qui se trouvent plutôt pas trop mal avec les lacaniens. C’est miracle, non !?*

 

Voyez le dernier numéro qui s’ouvre sur un dossier consacré à la question des traumatismes et la possiblité de les « entendre », plus que de les faire surgir d’ailleurs, dans le cadre de la cure, mais pas seulement. En tout cas, le pluriel n’est pas de trop pour désigner ce qui va de la question sexuelle à celle des radicalisés, en passant par les addictions et, last but not least, l’énigme de la création avec un article d’Andrea Manara sur Claudio Parmiggiani, au titre évocateur : « Saisir la peau de l’ombre ».

 

Il est vrai que le mouvement né de la vague MeToo a tout emporté sur son passage, que les prises de parole ont souvent coïncidé avec une relative méprise de la réalité, au risque d’ailleurs de mal faire entendre ce qui relève d’un juste et nécessaire combat. La contribution d’Alex Raffy, « La plainte pour viol des adolescentes, marchepied de l’émancipation féminine ? », est là pour le rappeler et remettre en perspective ce qui doit l’être. Poser des garde-fous même.

 

 

Un retour sur les avatars du cas Doubrovsky, l’inventeur de l’autofiction, avec son psychanalyste Robert Akeret et les liens, littéraires et littéraux, qui s’ensuivirent (Carole Martin), une digression sur la citation pascalienne chez Eric Rohmer (Felix Perez), ainsi qu’une visite du Musée Sigmund Freud à Vienne (entretien avec la directrice scientifique Daniela Finzi) qui narre avec force détails et un brin d’humour l’histoire d’un lieu et d’une pratique, non sans mettre l’accent sur la réception d’une « discipline » (on y revient donc) qui fit dès les débuts couler beaucoup d’encre – et parfois quelques larmes sur le divan, ajouté-je bien malgré moi – complète un tout qui a finalement fière allure.

 

Histoire d’affirmer, ou de confirmer, que Le Coq-Héron, non content d’avoir plus d’une oreille a donc encore toutes ses dents !

 

 

Roger-Yves Roche

 

 

* Au sujet de la naissance et des orientations du Coq-Héron, le lecteur pourra se reporter au numéro 238, où se trouvent racontées quelques anecdotes savoureuses.