Connaissez-vous l’agnotologie ? Dans son numéro de décembre 2013, Critique consacre un dossier à cette discipline née aux Etats-Unis qui se propose d’étudier la « production de l’ignorance ». Son principal promoteur, Robert Proctor, professeur d’histoire des sciences à Stanford, établit ce parallèle : tandis que l’épistémologie est une « étude la connaissance », l’agnotologie constitue pour sa part une « étude de l’ignorance ». Le philosophe Mathias Girel offre un « mode d’emploi » particulièrement clair et synthétique en s’appuyant sur l’analyse d’une série d’ouvrages parmi lesquels La Fabrique du mensonge de Stéphane Foucart et Golden Holocaust. Origins of the Cigarette Catastrophe and the Case for Abolition de Robert Proctor. C’est en effet en étudiant l’ignorance produite sciemment par les cigarettiers que Proctor a développé les méthodes « agnotologiques ». Alors que le doute était l’arme principale de la pensée scientifique, les « fauteurs de doute » ont mis en place de véritables « stratégies de l’ignorance », utilisant le scepticisme pour mieux servir les intérêts d’acteurs étrangers à la production du savoir. Dans un riche entretien, R.Proctor rappelle ainsi comment, lors de procès contre les cigarettiers américains, seulement trois universitaires avaient critiqué l’industrie du tabac tandis que plusieurs centaines d’entre eux l’avaient défendue. L’agnotologie fait ainsi parler d’elle à la fois sur les campus et dans les prétoires. Est-il permis de douter que cela soit un signe de bon augure ? Un article critiquant les tenants et les aboutissants de la démarche de Proctor n’aurait peut-être pas été inutile dans un dossier qui demeure cependant du plus grand intérêt.
François Bordes