Comment parler d’une revue ? Indiscrète et taraudante, la question trouve ici ses réponses, à mille bornes des kilomètres zéros identifiés. Dans ce numéro des Cahiers André Dhôtel, Nils Blanchard a réuni trois centaines de documents autour de deux pôles : la revue 84 et André Dhôtel, avec Antonin Artaud en figure absente. Quelques insertions de commentaire les complètent. Ces documents forment deux cercles non concentriques, deux nuages flottants, libres et intimes. Naturellement il y faudrait mises en perspective, axes de recherche, titres de chapitre, index, tutti quanti et notices. Et la réponse à la question : que voulez-vous dire ? Un document, s’il mérite son nom, enseigne quelque chose. On peut aussi aimer lire. La bibliothèque est là. Le lecteur aurait tort de s’en priver.
Telle qu’elle nous est ici présentée, l’histoire de la revue 84 commence en janvier 1945, au Vaneau, chez André Gide, quand sont réunis, sous les couvertures, Henri Thomas, Pierre Herbart et Jean Lambert — Jacques Brenner n’y est pas encore. Sous ce jour, le 84 de la rue Saint-Louis en l’Isle est une migration symbolique du Vaneau. Les promenades en ville ont lieu sous les auspices de la loi de juillet 1881. Numérotées de 1 à 18, les quatorze livraisons de la revue ont eu lieu grâce à l’héroïsme de Jacques Brenner et à quelques étincelles jaillies des milliards de Florence Gould, ce feu de la saint Jean (Paulhan).
Naturellement, au sens numérique, cette livraison des Cahiers André Dhôtel est un fichier. Il a été ouvert sur un écran et abondé au jour le jour, par passion neutre. C’est comme ça, semble-t-on comprendre. L’ordre chronologique lui convient parfaitement. Il y a donc une manière de (ne pas) parler d’une revue, qui consiste à réunir dans l’ordre chronologique tous les documents qui la concernent et à les donner à lire. À dresser le dossier des archives et à se taire. Cette manière existe. Qu’elle soit en creux ne signifie pas qu’elle soit creuse ni qu’elle exclue les analyses et les synthèses. Il y a une archivistique négative comme il y a une théologie négative. Celui qui la propose mérite notre gratitude première. Nous en reparlerons.
Bernard Baillaud