Que vous dire du nouveau Brèves, 119e du nom, sinon qu’encore une fois il donne à voir le pluralisme de ce genre, la nouvelle, dont on ne se lasse décidément pas ? À première vue, lecture faite de l’ensemble, il ne se dégage pas vraiment de fil conducteur dans cette nouvelle livraison si ce n’est, peut-être, « l’idée de guet », comme le suggèrent finement les Delort, Martine et Daniel, inlassables promoteurs d’histoires courtes avec cette revue : « Voilà bien un mot-clef (celui de gué) des nouvellistes, écrivains à l’affût, s’il en est. Ici, leurs personnages savent attendre. Qu’ils guettent l’arrivée de l’autre, le bruit des objets, le passage du temps, une chouette effraie, les clochers de Barcelone, des envahisseurs ou tout simplement le repos après la tempête », écrivent-ils à propos de ce numéro que, pour notre part, on a aimé commencer par la fin. Xavier Lapeyroux, dont les livres souvent troublants ont été salués régulièrement par la critique, revisite habilement les prémisses de L’invasion des profanateurs, ce film de 1978 de Philip Kauffmann dans lequel « des organismes extraterrestres colonisent la planète en enfantant des doubles de la population ». Dans cette intelligente réappropriation de la trame première du film, on retrouve l’inspiration particulière, nourrie de surnaturel et de cinéma, de ce bientôt quinqua. Ce qui est drôle, d’ailleurs, c’est que l’une de ses phrases pourrait, presque mot pour mot, trouver sa place dans le texte d’ouverture signé par celui qu’on ne présente plus tant on le sait prolifique en matière de nouvelles, on a nommé Georges-Olivier Châteaureynaud : « Les voitures ne roulent pas, les téléphones ne sonnent pas, les télés sont en veille et les radios éteintes, nulle voix alentour. Le quartier est figé, muet, semblable à un corps dont le pouls, à peine perceptible, s’apprête à s’arrêter. »
Ce pourrait être, en effet, une description tirée du texte de Châteaureynaud qui, lui, nous raconte la disparition étrange, car inexpliquée, de toute vie autour d’un personnage d’ancien peintre installé en ville et qui semble, avec une sérénité déconcertante, guetter à son tour sa propre fin, son effacement du monde…. À un moment, Châteaureynaud écrit ceci : « Une bibliothèque doit être comme une forêt : ménageant à côté d’allées cavalières bordées d’arbres répertoriés des parties de taillis presque impénétrables où l’on s’aventure par curiosité, où l’on s’égare par distraction. » Remplacer le mot bibliothèque par celui de revue et vous avez là, au fond, toute la vocation d’une revue comme Brèves. De fait, entre Lapeyroux et Châteaureynaud, on s’est aventuré avec une heureuse curiosité sur les terres imaginaires de Roland Goeller, Ernest Fourachault ou encore Michel-Georges Ferrer. Ces trois-là, parmi une dizaine d’autres, nous ont singulièrement marqué, l’un avec ce personnage de vieille femme, déboussolée mais lucide, qui fait l’inventaire de ses objets les plus familiers au soir de sa vie, l’autre avec ce mécano qui veut tirer d’affaire une junkie qu’il a par le passé aimée passionnément, l’autre enfin avec son histoire de vélo rétro dont il découvrira par hasard la véritable valeur…
Anthony Dufraisse