« 700 millions de Chinois, et moi, et moi, et moi », chantait le facétieux Jacques Dutronc. Ritournelle en tête et après avoir pris connaissance du bilan du marché du livre en 2021, on pourrait, nous, fredonner : « 400 millions de livres, émoi, émoi, émoi… ». Selon les chiffres publiés début février par l’institut d’études GfK, qui assure le monitoring de ce secteur précis des biens culturels en France, il s’est en effet écoulé l’an passé 399 millions d’exemplaires exactement, tous genres confondus, de la littérature générale aux bandes dessinées en passant par les ouvrages pratiques ; un record historique, paraît-il. Pour être encore plus précis, il s’est vendu 383 millions de livres neufs imprimés, les 16 millions restants englobant ebook et livres audios. Si les ventes de livres numériques progressent chaque année un peu plus, le papier continue donc de dominer, et largement. Le contexte de la crise sanitaire aurait ainsi profité au marché du livre, revitalisé comme jamais après des années de croissance molle. À la faveur de l’inédite situation sanitaire, la lecture comme pratique culturelle, pour parler à la manière des sociologues, aurait (re)trouvé une place parfois importante, en tout cas une place certaine, dans les toujours plus diversifiées activités de loisirs de nos concitoyens. Que les Français semblent avoir retrouvé le goût des livres est une chose, et une bonne chose évidemment ; qu’ils soient conscients des enjeux de distribution qui existent autour et au cœur de la chaîne du livre, c’en est une autre en revanche.
Publié par La Documentation française, le dernier numéro (janvier-février 2022, no 425) des Cahiers français revient justement sur la question, économique mais aussi symbolique, de la régulation du marché du livre. En marge d’un épais dossier sur les défis de l’industrie française, thématique centrale de cette livraison, on peut lire avec profit un article synthétique sur ce sujet de l’encadrement du prix du livre, pile quarante ans après l’instauration de la loi Lang. Rédigée en partenariat avec la rédaction de Vie-publique.fr, ce site d’information qui s’efforce de faire comprendre l’orientation des politiques publiques au fil du temps, cette contribution retrace à grands traits le parcours de cette mesure mise en œuvre par le ministre de la Culture de l’époque. Au-delà de la genèse du système du prix du livre unique, l’article interroge les contours d’un cadre légal historique à l’heure où le numérique transforme le secteur. Cette numérisation du marché n’est pas sans incidences en effet sur l’égalité d’accès aux livres ou encore sur le coût du livre ; ici comme ailleurs, le e-commerce change la donne. C’était tout l’enjeu du récent débat qui a eu lieu, en fin d’année, lors de l’adoption de la proposition de loi de Laure Darcos sur l’économie du livre* – tournant législatif sur lequel se conclut d’ailleurs l’article… Avant de boucler cette très rapide chronique, juste un dernier mot sur deux chiffres qu’il serait bon de méditer : toujours dans ce même article des Cahiers français, on relève qu’il s’est publié au total l’année dernière 97 326 titres et que plus de 250 nouveaux titres arrivent chaque jour (chaque jour, oui !) sur les étals de nos chères librairies…
Anthony Dufraisse
* On y trouve notamment la mise en place d’un tarif minimum des frais de port du livre, quel que soit le commerçant expéditeur, petite librairie ou grande plateforme de e-commerce.