La taille ne fait rien à l’affaire. Ni d’une revue, ni d’un pays… On peut publier un opuscule saisonnier de cinquante pages et parvenir à offrir une variété de sujets qui ne cesse de surprendre, une sorte de palette ou de nuancier qui précise sans fin un sujet qui paraît dès lors inépuisable. Car c’est de cela, assurément, qu’il est question dans ces Cahiers lituaniens, d’une certaine obstination à faire découvrir un pays, ses figures, son histoire, le type de relations qu’il créé au fil du temps avec l’extérieur.
On pourrait les percevoir comme une tentative têtue de désenclavement. Image efficace qui couvre clairement les visées d’une revue modeste dans ses moyens mais qui mobilise de nombreuses compétences. C’est parfois un peu univoque ou un peu biaisé, disproportionné en quelque sorte. Mais qu’importe, on passera sur cela aisément, comme sur la teinte chrétienne démocrate de l’ensemble, pour se concentrer sur l’hétérogénéité des contributions qui traitent à la fois de l’histoire des sciences et de la diplomatie, d’architecture, de journalisme ou de poésie.
On y décrit très précisément la place nodale de Vilnius dans les relations entre Napoléon et Alexandre Ier de Russie, les enjeux que ce territoire gagne ou perd pendant le conflit (autour de 1812) entre ces deux empires. On y considère le renouveau architectural du modernisme dans l’entre-deux-guerres comme un élément de la constitution du politique, d’une identité nationale, d’un terreau commun. Frappants – malgré un ton un peu hagiographique – sont les deux portraits de ce numéro : celui d’un journaliste lituanien d’importance, Eduardas Turauskas, de ses relations avec la France, de son parcours intellectuel et professionnel, et celui d’un politique français, Louis Jung (1917-2015) qui promeut, suivant les pas de Robert Schuman, une intégration politique de l’Est de l’Europe et ouvre au futur élargissement de l’Union européenne. On réalise en lisant ces contribution que la Lituanie n’est pas comme on l’imaginerait un satellite détaché de nous, mais bien au contraire une charnière du monde européen.
Eh bien non, en effet, les « pays de l’Est » ne se réduisent pas aux caricatures qui en sont faites ces temps-ci, à des pays fermés, xénophobes, réactionnaires ou en voie d’a-démocratisation. On ne déniera pas – nous ne sommes pas totalement ni naïfs ni béats –, la réalité évidente d’un mouvement inquiétant en Europe et en particulier dans ses espaces anciennement soviétiques ou satellites du pouvoir russe. Mais il y a dans cette revue quelque chose d’ouvert, de généreux, d’optimiste. Elle veut s’inscrire dans une communauté culturelle, se situer dans un horizon de valeurs européennes, résolument humanistes. On ne partagera probablement pas toute les options qu’on devine dans ces pages, mais cette énergie provoque une sorte de sursaut, rassure un peu, organise une reconnaissance.
C’est probablement le meilleur compliment que l’on pourra faire aux Cahiers lituaniens (il y en aurait bien d’autres évidemment) que cette reconnaissance donne un désir d’y aller voir de plus près. On réalise en lisant le numéro que ce qui semble étranger – l’exemple type serait que l’on confond toujours l’ordre des trois pays baltes sur la carte – s’avère nettement plus familier, que des relations que l’on ignorait, au moins dans le détail, et anciennes qui plus est, ne cessent de se tisser entre la Lituanie et la France. On le lira comme on ouvre une porte, sans bien savoir ce qu’il y a derrière, comme l’écrirait le poète sur qui s’achève ce 17e numéro, Vytautas Stankus :
voici que le portail s’ouvre
voici que le portail s’ouvre
voici que le portail – – –
Hugo Pradelle