Il y a quelques années, l’apparition en salve de nouvelles revues avait inspiré à votre serviteur une chronique pour la Revue des revues no 50, « Le cas des K », et qui commentait les revues Klaatu, Kahel, Aka et Patchwork.
Une même inspiration, une initiale commune et cette décidément belle consonne en finale sont à l’œuvre ici, s’appliquant à deux revues rencontrées dans des circonstances très différentes, mais qui ne cessent de résonner entre elles.
Il s’agit de Nawak et de Nunatak.
La première fut invitée par Marie Virolle (Algérie Littérature/Action), notre hôtesse du Salon des revues plurielles 2016 qui s’est tenu à Limoges en décembre 2016. Nawak arriva de Montpellier pour présenter ses oblongs numéros. Le numéro 7 de cette revue d’art et de poésie venait de sortir des presses.
La seconde est apparue en groupe, sur une table commune lors de la Grande-braderie-culturelle-festive à la Maison de l’Arbre à Montreuil, le 25 février 2017, organisée par L’Insatiable, la Parole Errante et la Librairie Michèle Firk : c’est Nunatak, revue d’histoires, cultures et luttes des montagnes.
De drôles de titres pour de belles revues, chacune dans leur genre. Nawak ne s’explique pas mais propose dès la couverture du numéro 1, en janvier 2013 (et qu’il faudra chercher dans un rabat pour la 7e) un questionnaire ouvert et un jeu au lecteur : est-ce un mot inuit désignant le « vivre ensemble » d’une tribu ? une parole perdue de l’ancienne Mésopotamie […] ? ou autre chose encore ?
Nunatak – qui fait entendre de ses quatre dernières lettres comme un mot d’ordre – dans la langue des Inuits désigne une montagne s’élevant au dessus des étendues gelées où se réfugie la vie pour perdurer pendant l’ère glaciaire. Un havre donc, sinon un paradis. Cette revue est née il y a une dizaine d’années de l’autre côté des Alpes. Ce mot résonne-t-il de la même façon en italien ? Comme l’explique son sous-titre, elle parle des hommes et des femmes des montagnes, les rebelles ou brigands qui s’y cachaient, les populations qui y (sur-)vivent, les groupes qui s’y réfugient. C’est la version française ici, qui paraît en été 2016. Elle comporte des textes traduits et des articles originaux, le plus souvent signés d’un simple prénom, complété d’une qualité (« Benoît, Paysan dans les Cévennes »…). Pas d’ours, pas d’organigramme, pas de hiérarchie. Car tout le propos est dans le fait d’habiter ce territoire peu facile, ce qui implique de le connaître et de le respecter, de vivre en bonne intelligence, et de lutter pour empêcher des formes criticables d’équipement, de le dénaturer. Le propos sera politique, écologique, humain. L’histoire aussi est très présente.
Elle est fabriquée au pied des Cévennes, imprimée sur un papier d’un beau gris. Selon les textes, elle s’orne de détails botaniques (il est beaucoup question de plantes, illégales pour certaines – et ce ne sont pas celles que vous croyez), de gravures anciennes pittoresques ou de dessins et de photographies d’actualité, souvent de manifestations de protestation. La revue est sérieuse et militante, frugale pourrait-on dire, déterminée et calmement plaisante. Elle n’appelle pas au soulèvement mais à la résistance, aspire au bucolique mais incite à l’action.
Nawak est passée du premier numéro “photocopié à la maison” en noir et blanc sur papier blanc dur, à une impression faite à Strasbourg, sur un beau papier, de poésie et de sérigraphies, sous une couverture à rabats qui reproduit sur fond rouge un détail d’une linogravure représentant le grand incendie de Londres, en 1666. Le feu parcourt ce numéro. Du projet d’une bande de potes, où beaucoup de photographies de Didier Billon, quelques dessins d’Alain Blaise et huit poèmes, de six auteurs, trouvent leur place parmi ces 12 pages, y compris une manière de conférence de rédaction inaugurale retranscrite à coups de captations d’écran, on aboutit à ces 16 pages moins personnelles recueillant 9 poèmes aux auteurs – autrices nombreuses – renouvelés et un seul artiste pour les gravures, mais quelles gravures !
Et encore un écho, plus discret : en dernière page ce poème de Valentina Romano traduit de l’italien !
Ce n’est pas souvent un des points critiques mis en avant, encore que l’économie des revues soit intéressante en soi, et cruciale pour beaucoup d’entre elles (voir le Guide des revues sur notre site). Mais ici encore ces deux publications appliquent de mêmes principes. L’on imagine aisément les difficultés multipliées d’un diffusion artisanale dans les montagnes pour Nunatak. Du premier au deuxième numéro, elle est passée de 2,50 à… 2 € ! Ce n’est clairement pas une entreprise à but lucratif, mais ceci rembourse à peine les frais de papier, le prix du timbre, sans parler du travail du libraire (sauf à être lui-même militant) !
Nawak en revanche, est plus lucide. 5 €. Oui, vous avez bien lu. Cet objet magnifique, presque luxueux, garde un côté artisanal et plus discrètement militant, souvenirs (ou quotidien) d’artistes fauchés qui ne veulent obérer le budget des amis, des passants. Mais à ce point, c’est l’affaire du siècle.
Deux revues méritantes, militantes, à soutenir, “à profiter” !
Yannick Kéravec