« Nous parlons et dînons, nous enregistrons » : dispositif certes amical mais ordinaire pour réaliser un entretien entre deux vieilles connaissances. Sauf que…
D’un côté (avec Coline Merlo) Nicolas Roméas, le directeur de Cassandre, de l’autre Michelle Kokosowski : avec la flamboyante Koko, rien qui aille et qui tienne. L’entretien devient un « non entretien », le dialogue, un duo, les paroles se muent en portrait, deux voix pour tisser histoire, mémoire et parcours irradiant de celle qui fut de 1990 à 2002 avec Georges Banu l’animatrice de l’Académie expérimentale des théâtres. Parcours traversé de « rencontres avec des hommes remarquables » (Jean-Marie Patte, Kantor, Armand Gatti, Jack Lang à la création du mémorable festival de Nancy, Stanislas Nordey, Bandô Tamasaburo). Parmi eux, domine la figure de Grotowski rencontré dans les années 60 : rencontre d’abord blessante et finalement essentielle (jusqu’à la mort). Figure du « maître » (mot fétiche de Koko), le maître est moins une figure de surplomb que celui qui a le pouvoir et le vouloir de transmettre. Transmettre, pierre angulaire : Michelle K. s’y emploiera à son tour comme enseignante à Vincennes et puis après l’arrêt de l’Académie expérimentale des théâtres en confiant ses archives à l’IMEC afin que toute l’énergie qu’elle a mis en circulation ne se perde pas.
Magnifique moment de lecture avec sa double voix, son jeu de reflets, ses réflexions croisées. Avec quel regard acéré Kokosowski, cette passeuse d’avant-garde, remontera-t-elle les pages de la revue pour lire le dossier qui ouvre cette livraison : « Après l’avant-garde » en compagnie de Nicolas Frize, Julien Blaine, Artur Zmijevski, Steven Cohen, les Femen, Marie-José Mondzain enfin et ses plantes saxifrages capables de fissurer les roches pour faire éclore en étoile leurs fleurs ?
André Chabin