CORRODE : on y entend le son d’un cor accordé à une ode, une musique donc, mais aussi le corps, ou la corde. Le verbe renvoie pourtant à ce qui ronge, ce qui altère irrémédiablement la peau, les mains, le corps, le monde. La revue CORRODE s’annonce donc corrosive et musicale, et le gramophone à serrure, dessiné par Jeanne Borensztajn pour la 4e de couverture jaune de ce premier numéro nous confirme la piste…
CORRODE, éditée par les éditions artisanales Dynastes, donne la voix à de jeunes auteurs qui inaugurent la revue en revendiquant une liberté de forme, n’hésitant pas à mêler à leurs créations littéraires et à leurs textes critiques les autres arts (cinéma, peinture, performance…) ou les genres littéraires les plus variés (théâtre, conte, mythe…). Ainsi Joana Devignes, dans Les Nouveaux aristocrates analyse la séquence de la fête de la Dolce Vita, décrit les mouvements de caméra, les différents plans et le rôle des personnages pour souligner la dimension politique du film dans lequel elle s’attache à l’étude de la décadence inéluctable des aristocrates. La politique s’immisce encore dans le texte d’Elisabeth C., « Dans l’isoloir » sous-titré avec humour « Spectacle en un acte — d’après l’abbé Sieyès », et dans lequel le rôle du vote est questionné, chahuté… Il faut encore signaler le texte passionnant de Boris Kurdi qu’il consacre à l’artiste allemand Joseph Beuys, mais aussi tous les autres desquels perce une créativité réflexive enthousiasmante.
Les éditions Dynastes, fondées en 2019 et à Paris, par Jeanne Borensztajn et Maczka Hervier fabriquent à la main leur revue. Sur leur site, ils livrent le mode d’emploi de fabrication et insistent sur la dimension artisanale et manuelle de leurs livres et de leur revue qui apparaissent comme des objets à taille humaine, particulièrement soignés et délicats : « Les livres des éditions DYNASTES sont entièrement fabriqués à la maison : ils sont maquettés, imprimés, pliés, cousus-main au fil de lin, assemblés à la colle à bois (au pinceau) et massicotés sur les tables de notre atelier. » Souple, fine, la revue CORRODE n’en est pas moins forte. Ses textes, accompagnés d’une marge à gauche où prennent place des notes explicatives ou réflexives, sont engagés, politiques et ouvrent un nouvel espace de réflexion sociale et artistique en mouvement, taillée avec rigueur et élégance.
Jeanne Bacharach