« Qu’avons-nous fait de la beauté ? » : la question n’ouvre pas sur une enquête dont les revues ont eu longtemps le secret, ni un micro-trottoir, forme d’une laideur instantanée de la « pensée ». Est-ce une question d’ailleurs ? Elle fait entendre comme une assertion mélancolique: la beauté s’en serait allée. A moins que nous sachions plus ni la chercher, ni la voir (l’avoir ?), ni l’éprouver… Peut-être faudrait-il avant tout tenter de dire ce qu’elle est. Vincent Pélissier, directeur de Fario (n°13) risque : « une sorte d’infusion de notre âme dans un climat ou un milieu au sein duquel on se sentirait plus ou moins dissous et même comme élevé, vivant et agrandi jusqu’au delà de soi ? » En suivant : « Soudain défait de ses rets, détourné de ses banalités ». Du poème au récit, en passant par la méditation esthétique ou l’essai philosophique, souvent les formes se fondant, 16 variations – « La variété aussi proprement infinie » de la beauté (Jacques Damade) – composent un ensemble aussi intense que certain ciel qui vous confond par sa splendeur. Entre l’arpenteur Gilles Ortlieb sur les routes de l’Attique – manière d’archéologie du présent comme souvent chez l’auteur – à l’ami François Bordes – expérience d’un retour vers le simple bonheur d’exister dans le beauté du monde et celui de penser avec Jean-Christophe Bailly et son Dépaysement qu’il reste des chemins à frayer, loin de tout désespérance. Si l’espérance est violente, la beauté ne l’est pas moins. Ses autres guetteurs dans ce dernier Fario entre hiver et printemps: Lionel Bourg, Jean Frémon, Pierre Chappuis, C.A Cingria, Antoine Emaz, Jacques Fredet, Christian Mouze, Denis Rigal, Pascal Riou, Milan Simecka, Salah Stétié.
Plus loin dans la revue – bien plus loin : elle fait plus de 400 pages! –, on découvrira le poète russe Boris Sloutski (1919-1986), J’énonce l’Histoire . « Poète plébien mais d’une incomparable dégaine » entre « rugosité et prosaïsme » dit de lui Christian Mouze, son traducteur. « Qu’avons-nous fait de la beauté du socialisme ? »aurait-il pu sans doute écrire, lui déchiré au cœur de l’Histoire épouvante.
« Ce n’est pas un malheur./Mais qu’est-ce qu’un malheur ?/Pas de nouvelles. Jamais
Et des mauvaises ? Et des mauvaises non plus./Jamais. Nada »
Marc Norget