Pour commencer, Débuts s’affiche comme une «revue littéraire dans laquelle se côtoient auteurs établis et plumes inédites, sur le thème des débuts » D’emblée, c’est à l’impétrant balzacien qu’on songe et à son grand air d’introduction lancé bille en tête à la face de la Capitale : « — À nous deux maintenant.[1] ». Au fil des générations, la littérature a bien raboté cette question, et l’a polie au point de ne laisser guère d’espace libre entre la contemplation de jeunes gens séduisants (agrément) et plein de promesses (espérances), le constat de leur fraîcheur, qui confine parfois à la naïveté, et l’envieuse peinture de leur énergie, qui frise parfois l’innocence elle aussi, frôlant aussi, dans les cas extrêmes, l’arrivisme. Il est indéniable qu’après Balzac les arrivistes justifièrent un océan de pages remarquables. Ils ne virent leur naissance sous cette appellation officielle qu’avec Alcanter de Brahm (L’Arriviste, 1893) et Marc Stéphane (L’Arriviste, 1895) – et le terme récupéré dans la presse désigna tout d’abord Maurice Barrès. Mais baste, on ne lance jamais une revue sans l’idée de promouvoir la jeunesse « inédite », c’est-à-dire « inouïe », avec l’espoir qu’en son sein sommeille une Sappho, un Homère, tout autre immense aède. C’est le principe de générosité qui préside le plus souvent à ce geste moteur, qui pousse à organiser un bal des débutant(e)s. Débuts a fait emplette pour la solennelle occasion d’une robe de couverture jaune poussin et y a caché un texte programmatique au nom tarabiscoté puisque, virus oblige, « En 2021, on n’écrit pas de manifesto mais un coudifesto ». L’humour sied bien à ce qui s’apparente à un incipit-crochet où, anonymisés, ont été retenus six débuts de manuscrits après appel. Et la rédaction est claire, elle ne s’intéresse qu’aux premiers moments, les plus excitants, comme chacun sait : « nous voulons des débuts et des enclenchements, des surprises, de l’agitation. […] Accouchement, premiers pas, jeune auteur ou vieille peau [sic], inconnu ou « j’en peux plus », germe, aurore, tombe, seuil, débuts comme fin en soi, grisante, intimidante. » En pleine période de restriction de circulation, « Débuts est née de l’impatience de jeunes auteurs à voir leur encre imprimée sur du papier ; de celle de ne pas toucher de revues et livres neufs pendant la grande période du confinement ; de la conscience de l’importance des premières publications dans le paysage littéraire français ; de l’envie de nous dégourdir les jambes ». D’où, naturellement, l’essentielle fonction de « marchepied » mise en place par la rédaction qui souhaite publier « juste pour voir » et surtout pas au-delà : « Voir plus loin ? Déjà c’est trop loin. ».
Choisie comme bonne fée V.I.P., Chloé Delaume, qui n’a pas pris ombrage de la petite maladresse éditoriale, propose les premières pages d’un roman à thématique fantastique dont le style et l’inspiration sont assez poussifs pour dénoncer leur caractère apéritif, et c’est à peu près la même chose avec les écrits de Louis Haeëntjens (« Bloom ») ou Arnaud Idelon (« Tolède »), fort banals. L’est un peu moins le dialogue conçu par Léna Menier dont il émane l’esprit de la création dramatique de la seconde moitié du siècle dernier, saupoudrée d’une pointe d’épices récoltées dans un monde en pleine création (« Sabularium »). Restent enfin Samy Langeraert qui occupe ses heures de service public de bibliothécaire à décrire son décor en attendant l’arrivée de sa collègue Liv, et cet amusant « Plan-séquence » en sept vers d’Annie Bret qui va sans barguigner à l’essentiel : « piaf/ craquer/ la coquille/ tiède/ ivresse/ mise/ à nu. » Au final, puisqu’il nous faut conclure ce reportage au pays des débuts, ce sont sans aucun doute les pages de l’Helvète Laure Mi Hyun Croset (« Fils de ») qui lèvent le mieux le lièvre de la curiosité : « Il avait obtenu gain de cause. Le lendemain, il avait dû être le seul crétin à se réjouir de travailler à la chaîne et à se presser dans les vapeurs de l’aube contre la grille du portail de la grande entreprise. » En attendant d’autres Débuts, revue qui n’aura désormais plus l’excuse de faire les siens, la rédaction promet une nouvelle brassée d’écrits — la lecture de maints manuscrits est en cours — ce qui nous explique d’ailleurs son choix d’une police de caractères qui paraît un peu grosse à l’aune de la maquette et du format de la publication (A4). Inconscient du labeur de l’éditeur, le lectorat, fût-il privé des yeux de sa jeunesse, préfèrera toujours un peu plus de signes lorsqu’il est passé à la caisse. Pour conclure, formulons des vœux enjoignant les dieux à forger une belle vie à ces Débuts, qui pourraient bien nous apporter surprises et contentements à force de trouvailles.
On pourrait aussi user de ce mot d’Alfred Capus, boulevardier à succès bien oublié, qui rejoignait par la bande « Le lapin et la tortue » de La Fontaine en déclarant : « Il ne suffit pas de dire : “Untel est arrivé”, il faut voir dans quel état ». Ce qu’il cachait, cet oiseau, c’est qu’en son irrésistible allant, la jeunesse a toujours raison. Autrement dit, commencez, commencez, il en restera toujours quelque chose.
Éric Dussert
[1] Le Père Goriot, histoire parisienne. (Paris, Librairie de Werdet, 1835, tome II, p. 374)
Repris dans La Revue des revues n° 66