Est-il moyen de ne pas se perdre dans les dérèglements des sens/du sens proposés par ce nouveau numéro de La tête et les cornes ? Parmi toutes ces langues traduites (allemand, japonais, anglais, birman et celle qui est silencieuse ici : le coréen), ce sont langues dans la langue qui nous demandent accueil, patience, attention, déplacement. Avec Mia You, coréenne et hollandaise, suivra-t-on les pas du poète Bob Perelman, jusqu’à Amsterdam, jusqu’à l’in-connaissance des blancs qui se piquent de Chine ou d’Orient, jusqu’à cet aménagement/altération de la langue (coréen) et au mixage des identités (mitoyennes ?) ? Au rythme du «douleurang», de ses avatars redoublés par le bombardement des assonances en -an (précisément) dans le texte effréné de Dagmara Kraus : le « doolerang » « vribble grave/ dans les boronroves/de vorepaline molle »? Accompagner les pas de pas moins de 5 traducteurs de Benjamin Hollander pour Ȯnȯme ? L’intercession des anges rilkiens (et leur beauté terrible) n’a pas su m’ouvrir – aveu – ce texte. Mettre nos pas dans ceux de Gilles Weinzaepflen dans son «Peplum renoncé» sur les chemins de Palestine pour un précipité – manière de fugue ? – de l’histoire de jésus depuis Nazareth jusqu’à sa résurrection? En éclats, ça va vite : « l’œil du bœuf découvre la personne-dieu/mâcher, au milieu des mouches », « en sortant du tombeau il/est-ce un oubli/n’emporte pas le linceul. » On voudrait, dans la superbe série de Ho, se rafraîchir à ses pommes si belles mais, dans un Corée sous le joug, elles sont amères, sanglantes, cloutés de misère, de répression et de morts : « En cueillant les pommes elles chantent,/ En cueillant les larmes elles chantent. » N’attendre non plus aucun repos avec les plantes et fleurs cueillies par une langue qui semble venir de loin, d’un autre temps (ancienne, rustique, sensuelle, douloureuse) d’Ulf Stolterfoht : « un oignon, une rave, un porreau, en ar/rière plan un époux. et j’ai la tête dans son giron il tir/aille mauvais ma chevelure, disant tu vas comp/ter ces oignons, un, je dis ». Alors nous reste le jaune ? (The Maw Naing) jusqu’à ce qu’« […] il diminue à la lecture – il devienne bleu. / Bleu a nié le bleu. Avant la début,/ en voyant des gens entrer et sortir, bleu s’est introduit /ce qui émergera sera-t-il bleu aussi ?/ je ne sais pas. »
Rapide plan de coupe sur cette 7e livraison et coup de chapeau admiratif à tous les poètes/traducteurs qui, en amitié, vont creuser loin la langue : « et dit que l’amitié/ ce n’est jamais s’adresser à quelqu’un directement,/ parce qu’on n’a pas envie d’obliger/l’ami à écouter./On le laisse écouter s’il en a envie. » (Mia You)
André Chabin