Un titre n’est jamais neutre, qui détermine déjà une orientation de l’imaginaire, avant même l’ouverture de la revue. Alors les mots vagues/valises, les polysémies sont nombreuses dans notre annuaire, les antonymes ou paradoxes aussi.
Il y a quelques années , votre serviteur livra une chronique, ballade à travers l’annuaire des revues.
Juste avant le printemps, il s’agissait de relever les revues aux titres floraux, végétaux ou paysagers, et il y en avait. En 2017.
La nouvelle revue que je vous propose ressemble à son titre : présente, fragile et opiniâtre, modeste et déterminée. Le Coquelicot se présente comme le fruit d’une rencontre en 2017, celle d’Aglaée Collin, France et Billy Pierre, USA, lauréats respectivement en 2017 et 2011, du Concours international Poésie en Liberté (en 1998, profitant de l’essor d’internet, un groupe d’élèves du Lycée Henri-Wallon d’Aubervilliers (93), accompagné de professeurs et de l’équipe de l’établissement décide ce concours dépassant ses murs, visant le monde entier. à cette date, il se poursuit.)
Comme ce concours très ouvert, la revue propose d’accueillir des textes, un seul par auteur, de 30 lignes/vers maximum, ou une seule œuvre graphique. Pour le premier opus, le thème est « Marée haute », le suivant « Éveil », le prochain est déjà annoncé, « Le Cosmos ».
La question est : combien reçoivent-ils alors de propositions ? Et : quelles sont les délibérations, les critères qui guident les choix des deux hôtes, et du groupe de jeunes gens qu’ils réunissent autour de ce projet ?
L’autre mystère, il faut bien l’aborder, est son économie. Il n’annonce ni prix, ni adresse : c’est sur le site compagnon que vous trouverez ces éléments presque triviaux, et l’achat ne se fait que par courrier. Pour la France, aux 5 € pour la revue s’ajoutent 3,52 € très précisément ; pour le monde, 6,50 €. Pour 116 grammes ! Les animateurs, du moins en France, n’ont peut-être pas testé le tarif « livres et brochures » disponible (à vrai dire, pour l’Europe. Il est beaucoup moins cher d’envoyer une revue de Lyon à Bruxelles que de Rennes à Marseille) en bureau de poste, aux guichets – tant qu’il en reste. Le sujet crucial des prix des envois postaux reste un combat à mener pour les revues.
Les numéros s’ouvrent sur six mêmes vers d’Aglaée Céleste Marie Collin, belle promesse du plaisir à venir :
Robe de soie, rouge.
Éphémérité et consolation.
Le coquelicot se loge
au creux de tes yeux,
envahit tes pensées et
bouscule le schéma poétique.
Le numéro 1 commence par deux pages de « Coquelicot passé en revue », par Charles Fort-Vert, qui collecte le nom de cette fleur dans les régions et surtout les langues et dialectes de France : j’apprends que le « roz-aer », « rose de couleuvre » du Finistère, se retrouve dans l’« èrba de serp » (« herbe au serpent » dans l’Aveyron.
Le Coquelicot se construit page à page.
Parce que ce sont des textes au format contraint. Chacun fait l’objet d’un traitement particulier, d’illustration mais aussi de mise en page, mise en forme dans un plaisir évident du jeu, en gardant à l’esprit la lisibilité. Les dessins, œuvres graphiques, photographies reçoivent la même attention et offrent une belle palette de pratiques.
La forme courte détermine une énergie, une rapidité de lecture d’un texte à l’autre, une plaisante vibration de ces textes aux registres variés : chacun y trouvera quelques lignes qui résonnent en soi, une image qui retient l’œil.
Quelques pages par numéro sont en anglais. Les textes et œuvres sont signées, avec la précision du pays de l’auteur : France, majoritairement, États-Unis d’Amérique comme annoncé, et puis les Pays Bas, la Colombie, la Belgique, le Maroc, Haïti.
Les pages de création se prolongent de rubriques de critiques artistiques, ou plutôt avis de lecteurs, de spectateurs, les quelques lignes permettant moins l’analyse fouillée que la transmission d’un plaisir de lire, voir, des œuvres, de les faire passer (ainsi Claude Roy, Sais-tu si nous sommes encore loin de la mer ?, Gallimard : 1983 !) (ou Ponyo sur la falaise de Miyazaki, film d’animation de 2008) (Tomboy de Céline Sciamma, 2011) (ou De sang et de lumière de Laurent Gaudé, recueil de 2017, Thélème)… Des chroniques sur le monde qui nous entoure, légères définitions de mots-mystères, bande dessinée ou encore horoscope poétique complètent l’ensemble, cette belle invitation.
Yannick Kéravec