Cela fait de mois qu’elles sont là, patientes, atemporelles, ces revues, dans leur parti pris d’une histoire intime d’écrivains rares, Jacques Rivière et Alain-Fournier pour l’une et Benjamin Péret pour l’autre. Nous sommes loin des feux de la rampe et des actualités brûlantes, des anniversaires décadaires.
Alors elles se posent et sont recouvertes des autres revues, qui affluent. Mais aussi, elles ont choisi la discrétion de façade.
Pour la première, une jaquette vient pourtant protéger la couverture très sobre et classique, papier fort de couleur crème, écriture noire et liseré fin rouge. Cette jaquette semble minérale, organique. Sale presque : lichens ? moisissures ? fantaisie minérale ? Non : détail d’une œuvre de Hélène Vergnes qui travaille des teintures végétales sur tissus. Ses œuvres parsèment la revue comme des dessins, vignettes d’Alain-Fournier. Pour consoler de l’année 2020, cette cinquième livraison se consacre aux arts : littérature, peinture, musique et théâtre. La pièce de Olivier Dhénin La Fête étrange, d’après Le grand Meaulnes, occupe cette dernière partie. Présentation, texte et photographies de répétitions, de représentation se déploient sur près de cinquante pages ; la partie « littérature » présente des poèmes de jeunesse ; Marie Anne Rivière nous parle de « Alain-Fournier et la musique ».
Pour la peinture, en plus de la contribution contemporaine de Hélène Vergnes, un texte de André Lhote sur Alain-Fournier dont il fut l’ami de jeunesse, avec Jacques Rivière, précède un ensemble sur les rapports des deux amis avec Maurice Denis, qu’ils rencontrèrent. Des tableaux, des affiches reproduits, des fac-similés de lettres, documents sont magnifiquement édités. Les couleurs chatoient, les œuvres respirent. Et voyez comme le grain du papier même affleure sous les aquarelles et gouaches de Kathy Toma, dans cette série inédite d’illustrations du Grand Meaulnes.
Paru en septembre 2020, le neuvième Cahier Benjamin Péret cache sous le gris de sa couverture des trésors d’images, de photographies, d’illustrations et d’œuvres, de portraits et reproductions. Les rapports du poète avec son époque, ses artistes, ses amis, débordent, truculents, se mêlent dans un cadavre exquis mais ordonné, par le travail de Gérard Roche et Jérôme Duwa, et qui donne à voir ses rapports avec Toyen, Jindrich Styrsky, André Breton, Leonora Carrington, les chauves souris, Jean-Michel Goutier, le jazz, un totem (un vrai), des correspondances (des vraies), du populaire et du savant, du coq-à-l’âne et de la peinture, dans une mise en pages dense et dynamique, tourbillonnante comme les idées et créations qui animent ce poète : pourquoi alors devoir en choisir une seule en couverture ?
Yannick Kéravec
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