Les Moments littéraires : jardins du Luxembourg

Gilbert Moreau a l’esprit de suite. Sa revue Les Moments littéraires continue d’ouvrir ses pages aux diaristes francophones frontaliers. Projet amorcé avec un premier numéro accueillant il y a deux ans les écrivains suisses romands (no 43), suivi un an plus tard d’une livraison consacrée cette fois aux diaristes belges (no 45). Aujourd’hui, dans ce 47e opus, ce sont les Luxembourgeois qui sont à l’honneur. Une quinzaine de contributeurs figurent au sommaire, présentés par Frank Wilhelm, professeur émérite de l’université du Luxembourg spécialisé dans les littératures française et francophones. On retiendra en particulier les contributions de Danielle Hoffelt, Hélène Tyrtoff, Tullio Forgiarini, Pierre Joris, Lambert Schlechter, Jean Sorrente ou encore Florent Tonellio. Très divers dans ses choix éditoriaux, Gilbert Moreau réussit là de nouveau un beau numéro. L’exercice de l’écriture de soi y prend, comme à chaque fois, plusieurs formes : journal daté ou non, carnet poétique, autobiographie en fragments ou objet aux contours plus mouvants relevant de tout cela à la fois, l’hybridité flirtant alors avec l’inclassable. À chacun des participants son tempo, son aiguillon, son climat émotionnel disons : mémoire familiale trouée qui demande à être raccommodée, difficile distance avec l’écriture journalière qui risque de phagocyter la vie, musique douce ou au contraire discordante des jours qui passent, qualité d’attention au monde en soi ou autour des siens, refus de se soumettre à l’empire des choses tragiques qui font l’actualité, réflexion sur l’acte de création (l’écriture bien sûr, en premier lieu, mais aussi la photographie, ici avec le portfolio de Cristina Dias de Magalhães), sentiments qui se télescopent, lucidité ombrageuse, fiévreuse ou songeuse…

 

 

Tout ça pour dire qu’au fil du temps, Les Moments littéraires composent une monumentale anthologie de l’écrit intime. Année après année, disons-le car c’est assez remarquable, se constitue rien moins qu’un patrimoine qui fait place, pleine et entière, à l’aventure intérieure. Le croisement des biographies, l’imbrication des parcours et des projets, la convergence du passé et du présent, le déplacement dans le temps et l’espace (avec cette revue, on voyage souvent dans les époques et les géographies) forment un tout dont on ne dira jamais assez qu’il est précieux. Au sein d’un même numéro mais aussi d’une livraison la suivante, les textes communiquent entre eux, se connectent les uns aux autres, disant toujours plus, toujours mieux, toujours différemment, ce qui fait la trame de nos vies, la nature profondément unifiée ou singulièrement éclatée de nos existences. Voilà, il nous semblait important de redire à nouveau la vision d’ensemble qui anime Les Moments littéraires et rend cette revue si attachante. Et qui nous fait guetter, ce numéro à peine fermé, le prochain. Demain, d’ailleurs, la revue s’intéressera-t-elle encore à d’autres francophonies, en regardant par exemple au-delà de la Méditerranée ou du côté de l’Amérique du Nord ? Peut-être bien, ce serait une suite logique, en tout cas.

 

Anthony Dufraisse