Pour une éco-poésie

 

 

Un mot qui ravive le souvenir d’un geste ancien, dans son mouvement puissant et lent. Un titre comme un souffle : Les Haleurs. Cette revue née ce printemps s’annonce annuelle et pour fêter son éclosion, elle offre gratuitement au lecteur son premier numéro sous forme numérique.

 

Dédiée à « l’éco-poésie », elle s’ouvre sur une préface en forme de manifeste signé par son directeur David Dielen. Car en effet qu’est-ce donc que l’éco-poésie ? On conviendra avec l’auteur que la poésie a de tout temps chanté la nature, ses atours comme son altérité. D’églogues en pastorales, la poésie s’est gorgée de forêts, d’animaux, de couchers de soleil, de houles et de clairières. Mais le plus souvent, et l’époque romantique marqua l’apogée de cette tendance,  le poète faisait de la nature le réceptacle de ses états d’âme : il ne la chantait que comme une extension du moi, l’instrument sensible d’épanchements doux ou moroses, un miroitement de soi. Or, « L’auteur de l’éco-poème se décentre au profit d’une nature décrite, interrogée et célébrée pour elle-même ». En notre aujourd’hui, il convient de lui associer comme une ombre maléfique – humaine, trop humaine – qui ronge, gagne et menace, l’écocide, altérant la nature même de la Nature : « Car l’éco-poésie ne peut être définie que comme un mouvement de l’époque contemporaine, s’inscrivant dans un temps de l’histoire auquel se superpose une nouvelle ère géologique, durant laquelle l’humanité, inégalement mais foncièrement responsable, prend conscience de sa force dévastatrice et des marques imposées par celle-ci dans les couches les plus récentes de la croûte terrestre. » Ainsi l’éco-poésie se colore-t-elle d’urgence et de résistance, de détresse peut-être.

 

L’eau, « miroir et matière », forge le thème de cette première livraison (« La poésie est indéniablement, depuis son origine, une entreprise d’hydratation ou de ré-hydratation du réel, perçu souvent, à juste titre comme aride »), livraison qui embarque 18 poètes contemporains, au fil de poèmes inédits ou aimablement offerts en marge d’une publication. À la manœuvre – et c’est rareté –, 12 femmes : faut-il croire que les haleuses – le traitement de texte n’aime point ce féminin – sont plus vivement éco-sensibles ? Beaucoup des contributrices donc ont des œuvres déjà affirmées et reconnues : Judith Chavanne, Frédérique Germanaud, Cécile A. Holdban ou Mélanie Leblanc (« L’eau hors de moi/réveille l’eau en moi » – « Je pleure/comme elle ruisselle/ je m’apaise comme elle repose »), Milène Tournier (« J’étais une goutte d’eau sur la joue de chaque terrien » : un rêve), Albane Gellé (« Oui nous sommes eau, nous venons de l’eau./Tu es je suis un aquarium vivant ») ou encore le style tranchant comme un écueil de Perrine Le Querrec pour un poème évoquant les femmes porteuses d’eau, pliées et épuisées, qui s’achève sur ces mots : « L’eau      – combat pour la justice… » Ces quelques gouttes recueillies pour faire miroiter la variété des formes ici embrassées.

 

Au fil de la lecture numérique toujours un peu flottante, il n’est pas tout à fait assuré que tous les auteur.e.s s’appliquent au décentrement appelé de ses vœux par la revue et qu’il ne dessinent point sur les flots des îlots de leurs « âmes ». N’importe, dans ces Haleurs on retrouvera le goût de l’eau, sa vertu séminale, lustrante, bienfaitrice, le joyau si précieux qu’elle est : «  L’humanité doit tout à l’Ô » (Samy Manga). Peut-être aura-t-on plaisir à souscrire à cet éloge du presque rien de David Dielen : « un suintement d’eau a suffi à ma joie ».

 

Et nous voici bientôt à quai : José-Maria Hérédia nous y attend avec son Récif de corail, une « haute poésie » ou poésie de haute mer où l’on se surprend à lire « le fond vermiculé du pale madrépore ».

 

À peine débarqués du canoë, nous sommes, pour conclure, invités à lire – reprenons souffle – un grand entretien (une dizaine de pages) avec Jean-Claude Pinson, universitaire et poète, théoricien, auteur de Pastoral. De la poésie comme écologie (Champ Vallon) et plus récemment de Vita poetica (éditions Lurlure), terme qu’il explicite ici. Une pensée dense où se tressent les fils d’une vie entre militance, enseignement et réflexion. L’ensemble teinté d’un pessimisme raisonné mais un pessimisme actif : « Tant qu’il m’est loisible de m’y consacrer, haleur sur la berge parmi d’autres haleurs, je m’emploierai donc à faire, c’est-à-dire, faute d’être capable d’autre chose pour tirer la commune péniche, à écrire encore quelques livres. »

Vincent Dunois