L’Œil bleu, regards ultimes

 

« Espérons à présent que les quelques trépassés de jadis que L’Œil bleu se sera efforcé de réveiller un instant nous en saurons gré. Beaucoup d’autres attendent leur tour » : Nicolas Leroux donne congé (« Ultima verba ») à sa revue (qu’il a fondée avec Henri Bordillon) et à ses lecteurs avec la même élégance de touche que celle qui aura marqué, pendant 9 ans, l’aventure de L’Œil bleu, de retour pour un dernier tour de piste et même deux puisqu’en ce mois d’avril c’est un numéro double 14/15 qui fait son apparition. Des trépassés dont seule cette revue peut affirmer : « on ne présente plus aux lecteurs de L’Œil bleu, le poète conteur et dramaturge délicat que fut Bernard Marcotte (1887-1927).» Bernard Marcotte donc pour une correspondance entre 1915 et 1922 avec le jeune Louis Jouvet (« Louis Jouvey »). À côté de la publication de telles raretés littéraires, L’Œil bleu se plaît à résoudre des énigmes infimes (Combien de livres précisément sont sortis des presses de l’Abbaye de Créteil ? Mais qui donc enfin se cache sous le pseudonyme de Vicomte Phébus, signataire de Mes états d’âmes ? Quand Paul Roux est-il devenu Saint-Pol-Roux ?). Ainsi, la revue n’a eu de cesse de s’écrire au revers de l’histoire littéraire, de fureter dans ses marges, de réparer ses amnésies (par exemple Vincent Muselli ici encore et tant de revues, Le Bambou dans cette livraison). Entre érudition ébouriffante et fantaisie (Georges Fourest parmi les acteurs de ce dernier numéro; on lira aussi avec bonheur le texte du codicophile Benoît Houzé, « Le Manuscrit de la rue »), un discret mais tenace parfum feuilletonesque enveloppe cet Œil bleu grand ouvert sur les jachères littéraires des XIXe et XXe siècles.

 

Marc Norget