![](https://www.entrevues.org/wp-content/uploads/2015/01/mirabilia6.jpeg)
N’y aurait-il qu’une seule raison de lire le dernier numéro de Mirabilia (n°6, automne 2014), ce serait pour faire la découverte époustouflante du peintre américain Andrew Wyeth (1917-2009). Difficile de faire sentir l’envoûtement que les 8 œuvres reproduites ici procure. Des sujets humbles, des fragments de vie simple, sous une palette comme amortie, traités avec un réalisme minutieux aux antipodes du naturalisme. Le temps y semble suspendu. La suprême précision technique est tout mais rien : ces pans de « réel » prélevés (sauvés ? perdus ? sanctuarisés?) aspirent calmement le regard du spectateur afin qu’il s’y affûte. Tentons une approche : un art qui tiendrait de Menzel et d’Hammershoi avec un soupçon de Spillaert… Beaucoup mieux, l’étude précise d’Anne Guglielmetti permet de voir plus justement dans le travail d’A. Wyeth.
![](https://www.entrevues.org/wp-content/uploads/2012/01/Mirabilia6.jpg)
Dans ce numéro consacré au Temps, le sablier de Mirabilia fait s’écouler bien d’autres variations avec son goût pour le brassage des savoirs et des approches. : de l’invention de la mesure du temps par l’historien David S. Landes aux battements du cœur (le cardiologue Pierre Démolis), du temps de l’au-delà dans les sociétés océaniennes (Marine Degli), à celui dévolu à la création d’un jardin (le domaine de La Roche-Jagu par Bernard Paulet) en passant par la nostalgie du quartier perdu (le 11e sous les yeux de Bruno Montpied et José Guirao). Quant à la voix de Sidonie, celle de l’horloge parlante, soufflée par la fantaisie de Vincent Gille, elle philosophe le temps : « le temps n’a rien à voir avec la représentation qu’on s’en fait par erreur, d’une sorte d’architecture régulière, immuable, et unidirectionnelle. Il y a des secousses, des changements de pied, des contre danses subreptices, de saisissantes syncopes.»
Venu d’un autre temps – vraiment ? – Montaigne clôt cette livraison : « J’ai une sorte de « lexique » qui m’est tout à fait personnel. Je dis que je » passe » le temps quand celui-ci est mauvais ou désagréable ; mais quand il est bon, je ne le « passe » pas, je le déguste, je m’y arrête ». Riche idée, s’arrêter le temps qu’il faut dans la compagnie de Mirabilia dont un poignant récit de Gabrielle Roy – entre songe entêté du bonheur et visite endeuillée – marque le seuil.
André Chabin