Pourtant est bel et bien là

 

 

Huitième numéro de la revue Pourtant, et c’est toujours avec autant de plaisir que l’on retrouve le dialogue qui se noue entre textes et photos. Car il s’agit, rappelons-le si besoin est, d’une publication (fondée par Gilles Bertin) œuvrant à la rencontre du littéraire et du photographique. Nous, c’est à chaque fois par les images qu’on commence à y circuler. Différentes dans leur inspiration – documentaire, poétique… – mais se complétant intelligemment, elles donnent tout de suite le la par leur évidente qualité. « Là », avec un accent cette fois, c’est le thème de ce numéro qui approche les 180 pages joliment manucurées, réunissant une petite trentaine de contributeurs aux profils très variés. Sous ce « là » il y a, en substance, des histoires de lieux et de liens ; on y prend la mesure de ce qui est présent, palpable, tangible (l’urbanisme, l’aménagement du territoire, la vie autour de soi, le paysage…) mais aussi de ce qui est labile, fragile, et d’abord la mémoire, toujours prête à disparaître, s’effacer, tomber en poussière.

 

Côté photos, beaucoup de choses mériteraient ici d’être mises en avant, parce que l’ensemble est vraiment d’intérêt (Pascal Rivière, Julien Lescuyer, Stéphanie Di Domenico…). C’est toutefois le travail de Vanessa Kuzay qui a surtout retenu notre attention, par son approche narrative et mélancolique d’un territoire intime. En découvrant sa série réalisée en Pologne, où s’origine une partie de sa famille, on pense tout de suite à un autre photographe, Julien Magre, dont personnellement on apprécie énormément le travail sur le rapport entre les êtres, l’espace vécu du quotidien ou encore ce qu’on pourrait appeler l’identité du réel. Ce qui est drôle, c’est que Vanessa Kuzay cite justement son confrère dans l’entretien qu’elle donne à la revue, explicitant à cette occasion les intentions de son projet : partager avec nous des fragments d’une mémoire familiale plus ou moins reconstruite. « J’aime capter le passage du temps sur les choses et les gens, la latence, l’attente […], laisser de la place au paysage qui les entoure et qui les conditionne », confie-t-elle.

 

Que vous dire des écrits ? Nouvelles, poèmes ou proses poétiques, la sélection a été exigeante quant à l’inscription pertinente des textes dans le thème du jour, ce « là » qui peut être espace mental mais surtout endroit physique. Boutique ou jardin, garage en hiver, sentier en automne ou grange au printemps, parking de supermarché ou chambre vide, mer ou flaque d’eau… chacun.e cultive son lopin, à son rythme et avec ses moyens ; et le tout fait pleinement signe. Entre maux qui persistent chez les uns et mots qui poudroient chez les autres, le lecteur se laisse guider par des voix – celles d’Anne Bourrel, Astrid Bouygues, Justine Roy, Isabelle Martin, Gaultier Roux et de bien d’autres – qui ouvrent des voies ici et là. Voilà donc une revue comme « un petit monde où toutes les choses, entre elles, sont liées » (Chloé Baudry).

 

Anthony Dufraisse