Présences de Jean Follain
« Il faut être présent à son temps, mais c’est du même coup être présent au passé comme à l’avenir. » Dans un texte prononcé en 1960 au Collège du Centre international de Menton, Jean Follain exhortait ainsi ses camarades poètes à embrasser tous les ordres du temps.
Pour le numéro de rentrée d’Europe Élodie Bouygues a composé un subtil ensemble de contributions de spécialistes et de poètes, alternant études savantes, réflexions et poèmes – Jacques Réda, Christian Prigent, Gérard Cartier, Judith Chavanne, Laurent Fourcaut ou Jacques Moulin… On mesure ainsi la profondeur de l’influence du maître-poète normand dont l’œuvre se conjugue au passé, au présent et au futur.
Omission pontificale
Une fois n’est pas coutume, l’indispensable Fabula relaie le site officiel du Vatican.
Le pape François a en effet publié le 4 août (date révolutionnaire) une mémorable Lettre sur le rôle de la littérature dans laquelle il vante les vertus de la lecture. Ce « vice impuni » comme disait Valery Larbaud est donc désormais en odeur de sainteté. Au cœur de l’été, William Marx, professeur au royal-républicain laïc Collège de France l’a salué comme il se doit dans Le Monde. Amen, salut et fraternité.
Certains regretteront l’omission des revues dans la Lettre du Saint Père. Elles constituent en effet elles aussi ce que le pape nomme des « gymnases du discernement » (palestra di discernimento en italien). Même si le Diable gît dans les détails, les revuistes pardonneront cet oubli au souverain Pontife.
Nécessité de l’hérétique
Dans la collection « Sortir de l’économie », les éditions Crise et critique publient un recueil d’articles de Luis Andrés Bredlow (1958-2017) suivi d’une postface d’Anselm Jappe.
Inconnu du public français, ce philosophe d’origine allemande vécut en Espagne où il diffusa les analyses du courant de la théorie critique de la valeur. Cofondateur à la fin des années 1970 en Allemagne de la revue Ausschreitungen, et coanimateur à Barcelone de 1995 à 2003 de la revue Mania – Revista de pensament, il participa à Archipiélago, « cahiers de critique de la culture » dont les 80 numéros publiés de 1988 à 2008 proposaient « d’ouvrir un espace de réflexion et de critique face à la modernité barbare civilisée ». Anselm Jappe le présente comme « un des esprits majeurs de notre époque ». Homme de revues, helléniste, poète, spécialiste de Parménide, professeur d’histoire de la philosophie, il ne publia jamais de « livre véritable ». Parus aux éditions Pepitas de Calabaza en 2015, deux ans avant sa mort, les Essais d’hérésie permettent donc de découvrir un esprit critique particulièrement aiguisé.
Esprits assoiffés d’orthodoxie, s’abstenir. Si le titre renvoie aux Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire de Jan Patocka, c’est bien plutôt l’esprit de Diogène, de Guy Debord et de Jaime Semprun, avec un humour et un regard tout à fait personnels qui souffle dans ces pages où le philosophe critique la religion du travail, le consensus démocratique, le culte de la vitesse et de la laideur, la généralisation des machines à air conditionné (« pestes de nos étés » et emblèmes de « l’idiotie dominante ») ou encore « l’escroquerie du tourisme et la décadence du voyage ». Par temps d’unanimisme, il est toujours bon de prêter l’oreille aux voix discordantes dont on se rend compte souvent a posteriori qu’elles attiraient l’attention sur des questions de salubrité publique. Il suffit de s’intéresser aux effets de la surclimatisation et du surtourisme pour le constater.
Persistance de l’Encyclopédie
De 1984 à 1992, sous la houlette de Jaime Semprun, L’Encyclopédie de nuisances proposa de « redonner tout son emploi historique à la négation passionnée des chaînes de la superstition et de la hiérarchie » qui animait les encyclopédistes du XVIIIe siècle. La revue souhaitait constituer un « dictionnaire de la déraison dans les arts, les sciences et les métiers » dans le but de « réarmer la critique de la superstition techno-scientifique devenue hégémonique ».
Une republication en fac-similé est parue en mai, regroupant les quinze numéros de la revue, des prospectus annonçant la publication ainsi qu’un index des noms cités.
Pas de site internet. Pas de publicité. Pas de radio, ni de télé, ni de réseaux sociaux. Très peu d’articles.
Le tirage est épuisé. L’Encyclopédie persiste.
François Bordes
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