Quartette #16

 

 

 

Se contenter du demi-jour

 

 

Si vous cherchez à vous mettre à l’abri des giboulées de poncifs poussifs sur la poésie surréaliste allègrement déversées ces temps-ci, précipitez-vous sous les arcades de la revue Catastrophe pour y lire « Pénombres du surréalisme » d’Yves di Manno.

 

À contre-courant de bien des lieux communs, le poète et éditeur montre comment le surréalisme exerce une influence profonde sur la poésie des années 1970 et 1980. Alain Jouffroy, Mathieu Messagier, Jean Malrieu, Jean-Christophe Bailly, Serge Pey, nombreuses sont les voix entrées en poésie par la porte surréaliste. Yves di Manno fut de celles-là : son texte se termine par un témoignage personnel. Jeune, la lecture des Pas perdus (recueil d’articles parus en revue et il y a cent ans lui aussi) agit comme une révélation. Après la mort de Breton en 1966, à l’heure du triomphe de Tel quel et du Nouveau roman, le surréalisme poursuivait secrètement sa route – suivant en cela l’injonction au « demi-jour » proclamée par Breton en juin 1946 dans son hommage à Antonin Artaud.

 

Achevé peu avant la mort d’ Annie Le Brun en juillet, ce texte est dédié à l’autrice des Mots font l’amour que les éditions du Sandre viennent de republier.

 

 

 

Rue Fontaine, il y a foule

 

 

1966, l’année de la mort d’André Breton, fut en bien des points une année remarquable.

 

Antoine Compagnon lui consacra d’ailleurs un  mémorable cours au Collège de France (à écouter directement).

 

Cette année-là, surgissait sur la scène pop française « la crème des groupes anti yéyé », les Boots, représentants d’une pop biberonnée aux « petits gars de Liverpool », Byrds, Kinks, Dylan et autres.

 

Dans la dernière livraison de Schnock (qui met à l’honneur Georges Pompidou, en plein dans l’air du temps), l’ami Pierre Sojdrug retrace l’aventure éphémère des Boots, cette comète d’une culture à la française « qui tient à la fois des beatniks du quartier latin, des minets du Drugstore, des mods de la Locomotive ou des rockers du Golf-Drouot, mais aussi de l’existentialisme façon film de la Nouvelle vague, du système D. à la Pieds Nickelés et, bien sûr, du British Boom ».

 

Pendant ce temps-là, le Jefferson airplane enregistrait son mythique album Surrealistic pillow.

 

 

 

 

 

ZinZac

 

 

De nouvelles revues s’élancent. Voici ZinZac qui annonce la couleur : « Comme les voix de personnages d’un même roman, nous souhaitons faire se rencontrer des auteurs de diverses contrées, de diverses époques. À la manière d’un puzzle, cette revue propose un voyage à travers des âmes vieilles et des âmes jeunes, qui n’en finissent plus de mourir et de renaître. »

 

Le sommaire de la revue fondée par Christophe Le Gac & Rozenn Le Roux est impressionnant (Hocquard, Haenel, Gracian, Holderlin, Lucrèce et Novarina. !), le graphisme d’une haute beauté.

 

 

 

Argile du regard

 

 

Avec Par-delà les figures. Écrits sur l’art 1964-2006, Xavier Bruel et Paul-Henri Giraud ont réuni les textes que Claude Esteban consacra aux peintres et à la peinture, du Siècle d’or espagnol (Velazquez, Le Greco, Lorrain…) aux créateurs de son temps (Bacon, Sima, Ubac, Lam, Chagall, Picasso) – de son premier article de 1964 sur Giorgio Morandi au superbe Ordre donné à la nuit sur Le Caravage.

 

Le fondateur de la revue Argile (1973-1981) écrivit en effet une multitude d’articles sur l’art. Ils étaient disséminés en revues ou en préfaces à des expositions. Grâce au patient travail des éditeurs, voici un beau et fort volume, un grand voyage portatif, une traversée sensible d’un vivant paysage d’images. L’édition parfaitement soignée fait la part belle aux revues qui sont présentées en annexes : Mercure de France, NRF, Preuves, L’Éphémère et Argile bien sûr.

 

Apparaissent parfois fugacement des figures de poètes, comme ce texte d’une très grande justesse sur son ami Octavio Paz. Sans parler de l’effraction du poème avec « Cosmogonie », époustouflant hommage à Sima.

 

Toute cette œuvre sporadiquement dispersée forme désormais un livre de 944 pages, doté d’un index, d’annexes et d’une splendide préface de Pierre Vilar. Un livre comme une ruche de mots dans la forêt du visible.

 

 

François Bordes

 

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