Quinzième livraison, avec la lettre O : hommage à Olivier Corpet.
L’épidémie a bouleversé les adieux, les oraisons et les deuils. Combien d’amis et de proches avons-nous perdus, combien n’avons-nous pu saluer une dernière fois ? On mesure alors, plus que jamais, toute l’importance des textes écrits à la mémoire des disparus, l’importance de l’écrit et de l’archive. Les oraisons fleurissent tristement ces derniers mois. Sensibilités salue Dominique Kalifa, Europe Antonin Liehm, Phoenix Frédéric-Jacques Temple et La revue des revues, Olivier Corpet.
Olivier était un homme-mémoire. Il était sociologue, auteur, revuiste et critique. Il a créé Ent’revues, dirigé Autogestions et La Revue des revues. Il a cofondé et dirigé l’IMEC. Il avait des dizaines de dizaines d’amis, des milliers de souvenirs, d’envies et d’idées. Il est mort le 6 octobre 2020 à Paris.
Ceux qui ne l’ont pas connu pourront mesurer son apport au monde des idées, des archives, des revues, des livres et de la création en lisant les hommages prononcés lors de la cérémonie à sa mémoire, hommages publiés sur le site de l’IMEC [1]. La Revue des revues lui consacre un dossier dans son dernier numéro [2]. Sous la houlette de l’ami André Chabin, quatre de ses camarades de la première heure évoquent l’action d’Olivier pour les revues, avec les revues, par les revues. Dans « Genèse d’une passion », Jacqueline Pluet raconte leur collaboration, « côte à côte », à l’aventure d’Autogestions, la revue principalement animée par Yvon Bourdet où Olivier Corpet, à partir de 1973, « fit ses armes » de revuiste, de créateur et d’entrepreneur intellectuel. Étroite collaboratrice d’Autogestions, de La Revue des revues et de l’IMEC, Jacqueline Pluet apporte ici un témoignage personnel très précieux, qui vient parfaitement compléter le bref essai d’Olivier publié en 2014 sous le titre roussélo-perecquien de Pourquoi et comment, j’ai créé, puis dirigé l’IMEC pendant 25 années de 1988 à 2013 [3]. Antoine de Gaudemar évoque son « compagnonnage » avec celui qui était en train de lancer Ent’revues et de préparer la fondation de l’IMEC. De 1986 à 1988, Olivier tint à Libération une chronique des revues dans les pages culture du journal alors dirigé par Serge July. Comme celui d’Antoine de Gaudemar, le texte de George Blecher fait la part belle au témoignage personnel, à l’hommage amical et intime. Olivier Mongin trace de son côté un portrait d’Olivier C. en « sacré revuiste ». Olivier M. indique sans doute avec raison que le « revuisme congénital » de son ami « aide à mieux comprendre son amour de l’édition et des archives ». Les revues ne sont-elles pas en effet « avant tout des viviers d’auteurs pour les maisons d’édition » ? Olivier Mongin salue ainsi l’incomparable rôle joué par Olivier Corpet dans la mise en valeur de cet acteur culturel peu visible mais à l’influence profonde et déterminante. Il aimait aussi, rappelle l’auteur, « l’ambiance des revues », leur « barnums » et leurs « petits théâtres » si joyeusement rassemblés, tous les automnes, au Salon de la revue.
Mais pour bien comprendre la force et la profondeur de l’engagement intellectuel d’Olivier Corpet en faveur des revues, rien ne remplace la lecture de ses articles désormais classiques pour qui s’intéresse à cette forme fondamentale de circulation des idées. Comme le dit André Chabin avec sa justesse coutumière, ces textes constituent des « tentatives d’inépuisement » de l’objet revue, ils permettent de « baliser leur territoire infini ». Espérons que l’ensemble des nombreux articles d’Olivier Corpet puisse un jour être rassemblé en volume. En attendant, cette nouvelle livraison de La Revue des revues invite à lire ou relire « Que vivent les revues », l’entretien approfondi qu’il avait donné en 1988 au Bulletin des bibliothèques de France ainsi que « La revue, fait éditorial total », brève et brillante contribution aux Cahiers Jaurès d’octobre 1997. Sociologue et praticien des sciences sociales, Olivier Corpet y esquisse une méthode d’études de cet « objet culturel privilégié » : « C’est en analysant tous les aspects de cette fabrique éditoriale des revues et en étudiant la “mécanique” subtile, précise, qu’elle met en œuvre qu’on pourra comprendre le rôle matriciel et fondateur que jouent et continuent de jouer les revues dans la vie littéraire et intellectuelle ».
Jouer et continuer de jouer… tout est là. Relire les articles d’Olivier permet de nous rappeler combien la pensée et la création sont « tisseuses de mémoire ».
« Tissons, tissons » me disais-tu souvent
Adieu homme-mémoire
Adieu Amiral-Tambour
Quant aux revues, bien sûr, pas d’oraison funèbre : elles jouent et continuent de jouer leur rôle – en gardant en mémoire leur incomparable ami.
François Bordes
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[1] https://www.imec-archives.com/qui-sommes-nous/communiques-de-presse/hommage-a-olivier-corpet Voir aussi les prochains Carnets de l’IMEC, à paraître.
[2]. « Pour Olivier Corpet », La Revue des revues, n° 65, printemps 2021, p. 2-47 et sur Cairn : https://www.cairn.info/revue-la-revue-des-revues-2021-1.htm
[3]. Olivier Corpet, Pourquoi et comment, j’ai créé, puis dirigé l’IMEC pendant 25 années de 1988 à 2013, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, Éditions de l’IMEC, 2014, « Le lieu de l’archive ».