Phaéton est une revue comme les autres. Je veux dire comme toutes les autres vraies revues. Autant dire qu’elle ne ressemble à aucune. Alors que vient de paraître son deuxième numéro, on peut tenter de dégager du maquis de cette étrange et foisonnante livraison des lignes de force, des caractéristiques, peut-être, si l’on y tient, une forme d’unité. Unité forcément problématique dans la mesure où un éclectisme, affiché et revendiqué, s’exprime dans tous les aspects de la revue, et d’abord sur le plan des genres littéraires. Dans ce numéro 2016 de plus de 300 pages, on trouve des essais et des poésies, des nouvelles et un questionnaire de Proust, des images, qui sont bien autre chose que de simples illustrations. De cet esprit éclectique relève aussi une ouverture sur le monde, sur toutes les littératures et sur tous les univers spirituels. Avec une attention particulière au monde hispanophone (remarquable article de Paule Béterous sur Juana de Asbaje y Ramirez, poétesse ayant vécu au XVIIe siècle au Mexique), mais pas seulement : dans le substantiel cahier central de poésie voisinent des œuvres grecques et indiennes, latines et arabes, chinoises, anglaises, suédoises…).
La diversité des points de vue est aussi évidente. C’est ainsi que vers le début du numéro se succèdent une très intéressante introduction à la pensée mystique de saint Jean de la Croix par Camille-Jean Izard et une réflexion de Jacques Demorgon sur la laïcité. Et ce voisinage ne doit rien, on peut en être sûr, au hasard. On trouve aussi, au fil des pages, un article assez technique sur la comparaison des niveaux d’éducation entre les populations de différents pays (Christophe Bergouignan), un passionnant texte qui nous entraîne du côté de chez Charlus (Olivier Giron) ou un essai étonnant sur les rapports entre rugby et franc-maçonnerie (Mary Chestnut, Benoit Labeuchigue et André Tempon). Même diversité, même éclectisme du côté des poésies ou des nouvelles. Il y a, dans ce côté hirsute et débridé, quelque chose de presque provoquant, à notre époque d’hyperspécialisation. C’est que la revue Phaéton ne s’adresse pas aux monomaniaques de tout poil qui prolifèrent aujourd’hui dans le monde intellectuel mais à ce personnage curieux de tout et ouvert d’esprit, celui qu’on appelait autrefois (tout sexe à part) un honnête homme.
Au bout des 300 pages de la revue, il semble que, par-delà la diversité indéniable des points de vue, des approches, des opinions, ce qui constitue un socle commun entre les différentes contributions est un esprit qu’on osera qualifier d’humaniste (pour une revue conçue à Bordeaux, au pays de Montaigne, cela n’a rien d’étonnant). Un humanisme qui s’exprime de manière privilégiée dans ce qui constitue précisément la raison d’être de la revue, et que rappelle son sous-titre : « Écrire, transmettre ». Le savoir a pour vocation d’être transmis, partagé. Non pas au sens, pauvre, où on emploie ce terme de partage sur les réseaux dits « sociaux ». Le partage dont il est question ici a à voir avec la communion plutôt qu’avec la communication. Le mot « communion » ne doit cependant pas tromper : Phaéton est aussi une revue impertinente. En témoigne le remarquable éditorial de Pierre Landete, directeur de publication et avocat, qui, dans un véritable réquisitoire (une fois n’est pas coutume), démonte de manière serrée un certain discours particulièrement malsain qui tend à assimiler sécurité et liberté. Si l’on ajoute à cela que le numéro se clôt presque avec un magnifique dialogue de Courteline, extrait de sa petite pièce en un acte Le gendarme est sans pitié, extrait qui se termine sur l’exclamation : « Gendarme, vous êtes une moule ! », on constate avec plaisir que l’insolence est encore possible en France aujourd’hui (on commençait à en douter) et qu’on peut combiner avec bonheur un authentique esprit de sérieux et un certain ton anti-académique qu’on croyait perdu. Souhaitons à la revue Phaéton de conserver cet esprit, fût-il mauvais.
Karim Haouadeg