C’est décidément une bien belle revue que Le Magasin du XIXe siècle. Portée par la Société des études romantiques & dix-neuviémistes et publiée avec courage par Champ Vallon (300 pages dans un format XXL, tout de même), cette publication fait (re)vivre le XIXe siècle de fort pertinente manière. Après « Sexorama », « Quand la ville dort » ou encore « La femme auteur », pour citer quelques thèmes des précédentes livraisons, elle consacre le dossier de ce 6e numéro à la BD : « et la BD fut ». La BD au XIXe siècle, vraiment ? La modernité de l’acronyme, retenu par commodité éditoriale, est bien sûr un peu trompeur. Naturellement, la forme de « la littérature en estampes » (suivant la formule consacrée du Suisse Rodolphe Töpffer en 1836) dont il est ici question, ne correspond pas tout à fait encore à la BD telle que nous la connaissons. C’est qu’avant le XXe siècle, « l’objet BD est encore instable et flou », résume l’universitaire Nicolas Wanlin. « Très fertile champ d’expériences », « la BD native », de Doré à Rops en passant par Grandville, Nadar et d’autres auteurs moins connus, se trouve des codes et une inspiration qui se transforment à mesure que le contexte politique et les conditions matérielles de publication évoluent. Et il faudra un certain temps pour que ces images à lire gagnent en profondeur artistique. Pour l’essentiel, peut-être faut-il surtout retenir que les balbutiements de la bande dessinée ont souvent partie liée avec un esprit de satire. Laquelle satire est plus ou moins politisée et stylisée. Bref, sur plus de 100 pages de dossier, ponctuées d’une riche iconographie, les rapports entre texte et image sont étudiés de façon complémentaires, dans un inventaire de l’époque qui explore les frontières mouvantes de l’esthétique et de la plastique (dans l’ensemble, mention spéciale au coup de crayon de l’artiste belge Félicien Rops, abordé par l’article de Laurence Brogniez).
En marge du dossier, ou dans son prolongement si on veut, la question du dialogue des graphismes (l’écriture, le dessin) reviendra encore, notons-le, par exemple dans une étude inattendue sur les dessins visibles dans le journal épistolaire de Juliette Drouet. Oui, oui, est-il besoin de le rappeler, la maîtresse de Môssieur Hugo. Sous la plume de mademoiselle, le grand Victor se trouve parfois drôlement croqué ; c’est à voir. Enfantins, maladroits, les « divertissements graphiques » de Juliette Drouet ajoutent un surcroît d’expressivité à une correspondance, qui n’en manquait pourtant pas, souvent unilatérale. Ces vignettes mises bout à bout sont au final assez touchantes. Ce sont des saynètes de la vie amoureuse dans lesquelles, après tout, on peut bien voir une BD éclatée. Tout cela n’est bien sûr qu’un aperçu du contenu de ce numéro maousse-costaud qui sait faire le grand écart (admirez plutôt la souplesse ; ici un entretien avec Emmanuel Carrère, là le discours de réception de Bergson à l’Académie Française et plus loin un texte de l’oublié Henri Meilhac sur l’art et la manière de ficeler un vaudeville…). Terminons en insistant sur le fait qu’on ne doit pas craindre ici une approche par trop universitaire ; bien qu’exigeante, cette publication reste largement accessible.
Anthony Dufraisse