Le site de presse de la BnF lance sa propre revue, éponyme, RetroNews. Paru au titre de l’automne 2021, la revue, éditée par JC Lattès, comporte 226 pages et se vend 19 €. Son rythme de publication n’est pas précisé mais on peut le supposer trimestriel. Pour traiter de l’histoire par la presse, et pour en montrer le renouvellement et les possibilités d’ouverture et d’élargissement, la revue fait appel aux signatures habituelles du site, en général issues de la jeune recherche et des secteurs les plus dynamiques de l’Université.
Sa présentation se veut non seulement lisible, mais abordable d’emblée et vraiment séduisante pour le plus grand nombre : les articles sont courts, sobrement rédigés et abondamment illustrés. La première livraison comprend quatre grands thèmes : Résistances, Sexualités, Contaminations, Crimes et délits complétés par quelques textes de fiction. Une grande interview conclut chaque partie : l’écrivain Didier Daeninckx pour l’histoire politique, l’historien de la santé Olivier Faure pour les contaminations, la rédactrice en chef de Criminocorpus Martine Kaluszynski pour les crimes et délits et la lauréate du prix Mnémosyne pour Une rose épineuse, la défloration en France au XIXe siècle (PUR, 2017) Pauline Mortas pour la dernière partie sur les sexualités. Le n° est dédié à la mémoire du grand historien Dominique Kalifa (1957-2020), professeur à Pais 1 et un des maîtres de l’histoire culturelle et de l’exploration de ses marges. Il n’est pas besoin d’ailleurs de cette dédicace pour penser fréquemment à lui en lisant ou parcourant la revue.
Les sujets abordés sont variés : Paul Nizan et l’invasion fasciste de l’Éthiopie (Anne Mathieu), la résistance littéraire d’Aragon qui réenchante avec bonheur le médiévalisme et permet de citer deux revues : la très connue Fontaine d’Alger, mais aussi le valeureux Lancelot publié en langue allemande par les Français dans leurs zones d’occupation en Allemagne de 1946 à 1951 (William Blanc), mais aussi la lutte des indiens Modoc contre le gouvernement américain (Michèle Pedinielli), les messages et annonces du Libertaire (Anne Mathieu derechef) pour la première partie. La seconde réunit de pertinentes études au regard de l’actuelle crise sanitaire dues à Rachel Mazuy (la grippe espagnole), Pierre Ancery (La peste écarlate de Jack London) et François Jarrige sur l’invention « médiatique » de la pollution. Mélodie Simard-Houde revient sur les reportages de Jacques Dhur (Le Journal) et Marc Stéphane (Paris-Soir) dans les asiles psychiatriques. L’article d’Anton Serdeczny sur les suicides évoque quelques barbares survivances du traitement des corps des suicidés dans le Piémont de Charles-Félix (prince de 1821 à 1831) ou dans le Royaume-Uni de George IV (roi de 1820 à 1830) : l’occasion de rappeler la grande œuvre d’humanité que fut aussi et sans doute d’abord la Révolution française…
Les crimes et délits permettent de mobiliser une nouvelle fois Pierre Ancery (le Paris de Simenon), Michèle Pedinielli (Pierrot le fou et Casque d’or) et Emmanuelle Retaillaud (la drogue dans Paris-Soir). La dernière partie sur les sexualités revient sur quelques grandes affaires ou dossiers emblématiques : l’offensive anti-masturbatoire à l’ombre des Lumières menée sous la conduite du désormais fameux docteur Tissot (Anton Serdeczny), le procès et la descente aux enfers d’Oscar Wilde qui là aussi permet de se souvenir qu’en Angleterre la sodomie était encore passible de la peine de mort avant 1861 (Pierre Ancery), l’émergence du terme « homosexuel » Emmanuelle Retaillaud) et l’interrogation sur le genre hermaphrodite (à nouveau Anton Serdeczny). Enfin, quelques textes de fiction concluent agréablement l’ensemble, dont en cette année de commémoration communarde un bel exemple de cut-up sur la chute de la colonne Vendôme proposé par Quentin Deluermoz, auteur d’un récent et remarqué Commune(s). Une traversée des mondes au XIXe siècle (Seuil, 2020).
Robert Lindet