Un nouveau printemps surréaliste semble souffler sur les revues.
Rien que dans le champ hexagonal, les nouveautés d’hier et d’aujourd’hui refleurissent. Des membres du groupe surréaliste de Paris sont à l’origine d’une nouvelle revue, Alcheringa (« le temps du rêve » en langue anangu des Aborigènes d’Australie), dont le numéro 1 est sorti en 2019, et l’inépuisable Infosurr fêtera en 2021 ses 25 ans « d’Actualités du surréalisme et ses alentours ». Quant à la revue d’art Surrealismus, elle continue son chemin grâce au financement participatif, avec une nouvelle formule sortie cet hiver, alors que déjà en 2020 la revue Vocatif (dont le nom rappelle celle qui fut créée et animée par le surréaliste belge Paul Gutt), nous avait livré un très revigorant dossier « Aspects du surréalisme aujourd’hui » dirigé par Patrick Lepetit à l’invitation de sa directrice Monique Marta. Enfin est annoncé dans le prochain numéro de la revue A littérature-action pour ce début d’année, un important dossier consacré en grande partie au surréalisme japonais.
Certes « Poésie in toto » ne se présente pas comme une revue « surréaliste » en tant que telle (rejoignant ainsi Jean Schuster qui dans un entretien de 1986 republié dans ce premier numéro, prônait « l’abandon » de ce qu’il nomme un « label sécurisant »), mais la plupart de ses contributeurs sont liés par ce signifiant sans dieu ni maître.
Ainsi l’étrange couverture (seule partie en couleur) composée par Laura Hortense a été réalisée à partir d’une œuvre de Thom Burns, présenté comme le prin-cipal illustrateur de cette livraison. Cet ancien membre du groupe de Chicago est aussi connu comme co-éditeur avec Allan Graubard des 764 pages du célèbre Invisible Heads, sur les surréalistes d’Amérique du Nord.
Le « Seuil » s’ouvre par un hommage à Jean-Michel Goutier, autre figure de l’histoire du surréalisme disparu l’été dernier, et dont la compagne, l’artiste et écrivaine Giovanna, est présente au sommaire de ce numéro avec deux textes.
On trouvera d’autre part de nombreux documents comme un échange entre Octavio Paz et Jean Duvignaud, un poème d’Edouard Jaguer, des reproductions de Marcel Duchamp, Gilbert Lely et Mario Cesarini.
Ce premier numéro avait donné lieu il y a quelques mois à une publication en ligne sous forme d’un « numéro martyr » que l’on peut retrouver sur le site des éditions toulousaines l’Asymétrie. L’indication « Arabie-sur-Seine » sur la couverture, accolée au logo de l’éditeur, fait référence à l’association créée par Abdul Kader El Janabi (alias « AKEJ » l’actuel directeur de Poésie in toto) à Paris dans les années 1970, et à qui on doit avec ses comparses de l’époque la fameuse revue Le désir libertaire « du surréalisme interdit dans les pays arabes » dont on peut relire une sublime et vigoureuse réédition toujours chez l’Asymétrie*.
Parmi les surréalistes d’aujourd’hui, on est heureux de retrouver John Welson (un des principaux animateurs du groupe surréaliste gallois avec Michael Richardson présent lui aussi au sommaire), Alain Roussel (qui fit partie de l’aventure du Bulletin de liaison surréaliste), et l’on remarquera dans un conséquent chapitre intitulé « Formation de bataille surréaliste au Moyen Orient et en Afrique du Nord », la pléiade subversive des poètes et artistes Mohsen Elbelassy, Ghadah Kama, Onfwan Fouad et Yassir Abdelkawi notamment, dont la revue The Room apparue l’an passé semble déjà avoir fait déplacer le centre de gravité du surréalisme depuis l’Occident vers le Sud et l’Est de la Méditerranée…
La part belle est faite là et ailleurs aux inventions et techniques les plus utilisées par le surréalisme comme la poésie libre, l’écriture automatique, le collage, etc. De cet ensemble peu résumable par sa richesse débordante et sa composition en « cadavre exquis », on citera les poèmes d’Axel Sourisseau et de Pierre Petiot (autre membre du comité de rédaction à qui l’on doit aussi les principales traductions depuis l’anglais), mais aussi les interventions par ordre d’apparition de Victor Malzac, Will Alexander, Laura Hortense, Maroine Dib, Pierre Grouix, Charles Illouz, Marc Kober, Giorgia Pavlidou et Jérôme Rothenberg.
De belles surprises et associations libres sont à relever aussi, comme ces superbes photographies des danseurs et costumes du spectacle de la chorégraphe Alice Farley, qui font écho par leur « inquiétante étrangeté » (Freud) avec les dessins de Philippe Bouret qui jalonnent ce numéro.
100 ans après l’invention de la première écriture du mouvement, la nébuleuse toujours bien vivante des revues surréalistes – avec ou sans le nom – va-t-elle « remagnétiser le réel » (André Breton) ?
Comme l’indique l’italique de son titre, « in toto » se veut une revue de poésie « en tout » c’est-à-dire au sens large de la création artistique et pas seulement comme genre littéraire, même si les interventions de son directeur sous forme de poèmes ou de réflexions sont centrées sur « le » ou « les poètes ». Les deux formules employées en sous-titre (« aux lèvres des mots ») et en exergue (« Les utopies montent à la tête ») nous fournissent peut-être un indice sur les intentions futures du comité de rédaction.
Dans tous les cas la naissance d’une revue et singulièrement de poésie est toujours un moment émouvant.
Pour laisser la suite ouverte au lecteur, je citerai Robert Benayoun qui, à une enquête sur le thème de la poésie menée par AKEJ auprès de nombreux surréalistes comme Guy Cabanel, Alain Joubert, Gellu Naum, Pierre Peuchmaurd, Arturo Schwartz, etc. répondait :
« Quand tout a été dit à voix très haute, et que le secret conserve la lumière, ce qui reste est la poésie. »
Laurent Doucet
Poète et co-directeur avec Marie Virolle de la revue A littérature – action, il préside l’association « La Rose Impossible » et anime la Maison André Breton à Saint-Cirq-Lapopie
* Lire le compte rendu signé de Marie Virolle, dans La Revue des revues no 61.
Ce compte rendu de Revue de la poésie in toto n° 1, est paru, lui, dans La Revue des revues no 65.