Faire une revue, c’est tenter un coup !
On lance une idée, une question, un thème, on débat ; on rassemble des textes, on fait frotter des univers, des langues, des images. On tente le coup d’écrire ensemble, du moins d’apparaître collectivement dans une forme singulière, ponctuelle, suspendue. On s’attelle à proposer des numéros, les uns à la suite des autres, on débute une aventure. C’est ce que, depuis juin 2018, tente l’équipe de L’Allume-feu qui dans son édito du n° 0 écrivait : « Cette chorale du Verbe / C’est notre cœur à tous. »
On retrouve cette dimension affichée d’un collectif d’écriture jusque dans la maquette du numéro, avec ces couvertures qui relient les noms dans une chaîne graphique, un cheminement dessiné, une sorte de ronde des lettres. Comme si le sommaire était un corps continu. Chaque numéro s’organise autour d’un thème : les trois premiers : « L’Insolence », « Le Feu », « La Triche ». Mots-sujets, corps-idées, corpus-termes autour desquels tournent des écrivains, des poètes, des illustrateurs, s’en saisissent, en propose une formulation propre.
Leur 4e livraison s’intitule « Coup ». Faire un coup, donner un coup, avoir un coup de foudre… On dépliera à l’infini ce thème, chaque contributeur en proposant une variation. L’ensemble s’assume inclassable, hétéroclite, profus. Ouvert à une grande variété de tons, de timbres, de genres, de formats, le sommaire admet un certain éparpillement. On débute avec un poème du roumain Robert Şerban dont plusieurs poèmes ponctuent le numéro.
La vie passe à côté de toi
comme un chariot plein de foin
lent
lourdaud
un peu drôle
beaucoup plus haut que large
à tel point que parfois tu te demandes quoi faire
se jeter sur lui
comme sur un immense matelas ?
le sentir
les yeux fermés
fondu de plaisir ?
compter calmement et rigoureusement
paille après paille ?
ou
tout simplement
lui mettre le feu ?
(traduction Eugenia Orlov)
Lire une revue relève bien souvent de cette alternative. On fait des choix dans un ensemble, on décide, on reconnaît, on discrimine, on adhère, on rejette… C’est selon. On circule ainsi dans un corpus bicolore – bleu et rouge – qui va un peu dans toutes les directions. On découvre des proses de longueurs diverses, certaines qui trouvent des échos particuliers en nous. On pense au texte d’Anne Devoret (de Spasme) ou celui de Rémi Baille, tous les deux inscrits dans un univers urbain, à celui de Marie Testu qui met en scène la fureur d’un clochard qui chante du Renaud dans le métro parisien… On pourra lire des poèmes, des récits brefs… Le numéro est ponctué, en bas de pages, de textes très courts, parfois une ligne seulement, écrits par les membres d’un groupe de patients de la psychologue clinicienne Béatrice Are et qui font comme des clins d’œil dans le parcours du numéro. Ainsi, on lira, page 15, en rouge, caractère de machine à écrire : « À quinze ans j’ai eu un coup de foudre et j’ai voulu sauter d’un pont. Je l’ai pas fait, et heureusement parce que c’était haut. »
Le lecteur s’invite donc dans cette revue à son rythme, y apportant ses sentiments, y ponctionnant ce qu’il veut. On ne peut résister, à citer longuement un texte au statut particulier : celui de Jacques Jouet qui reprend une tradition ancienne des revues, celle du feuilleton… On se souviendra du W de Perec dans La Quinzaine littéraire de Nadeau par exemple… On trouve dans ce texte une énergie récréative, une furie, un plaisir du mot, du jeu, de l’adresse, bref on s’y laisse prendre avec un amusement jouissif, on y entend le projet de L’Allume-feu… Bref, on se laisse un peu emporter, parce que quelques-uns, à un moment, ont tenté le coup !
« Autant couver des murvilles avec André Bettencourt ou Liliane dans un sac de couchage en guise de couette, autant couchailler avec la femme sans tête, une cougar qui fait les quatre cents coups sans jamais battre sa coulpe, autant courir pour la coupe du monde au stade (oral) Pierre de Coubertin, autant bouffer des zakouski sur le Kurfürstendamm avec Boucourechliev et SékouTouré, […] autant se couvrir de kouign-amann à Courtaboeuf, autant jouer à la courte-paille à Houilles-Carrières avec Kirikou, Milan Kundera, Kurt Weil, Emir Kusturica, Marcel Bascoulard, patin couffin… Et tous ces casse-cous à la cool, ses prix Goncourt du discours, ces derniers recours de la porte de Clignancourt ou de la bataille d’Azincourt… les goûts et les couleurs… les coups et les douleurs… Adieu, veaux, couteaux, couvains, couvées de canards cou coupé ! Au secours ! La coupe est pleine ! La coupe déborde ! La coupe dégueule ! »
Hugo Pradelle
Vous pourrez retrouver l’équipe de L’Allume-feu
lors du Salon de la revue qui propose une rencontre avec l’équipe de Spasme
le samedi 12 octobre de 15h à 16h