Si ce n’était que la version papier, l’on se dirait : « Quel sens de la synthèse que ces sept textes » qui, d’un portrait retraçant le parcours de Renaud Camus à une fiction où la psychanalyse en prend (profondément) pour son grade, sept textes donc vont réfléchir l’articulation des désirs et de la politique. Portraits, compte rendu d’un procès, articles de réflexion et fiction se succèdent. À l’œuvre ici, un désir de communisme qui imprègne les propos mais voyons dans l’ordre.
La revue, d’un format poche (11×18 cm, 160 pages) se présente sous une couverture comme rongée d’un rose fuchsia, qui masque le portrait qui l’illustre, empêche de lire le sommaire. L’intérieur répond à une maquette sobre et claire, sans une illustration.
C’est la « revue de la dissidence sexuelle », parue en mai 2022.
Les premières contributions s’inscrivent dans une histoire homosexuelle, qui résonnent encore aujourd’hui, à travers les figures de Renaud Camus et Guillaume Dustan.
L’article signé Tati-Gabrielle (ce seront des pseudonymes pour la plupart) nous parle du premier écrivain, socialiste au début de sa carrière, inaugurant l’autofiction homosexuelle par le récit de sa vie sociale, donc sexuelle, avant les dépénalisations intervenues avec l’élection de Mitterrand en 1981, décrivant une vie d’entre-soi d’hommes mâles blancs, amants interchangeables, moustachus, virils, clones fermés à toute altérité (Tricks), et dont le cheminement (la déformation ?) psycho-politique va l’amener à théoriser le grand remplacement, thématique tristement présente dans l’actualité de cette année 2022, inspirant des mouvements de droite extrême.
Guillaume Dustan a représenté (et a représenté dans ses écrits) quant à lui le choix désespéré d’une vie tournée vers le sexe, exacerbée à l’annonce de sa séropositivité, décrivant dans ses livres une vie entièrement dédiée à la recherche des plaisirs, prenant position pour le bareback, pratique alors hautement risquée quand l’épidémie de SIDA était loin d’être sous contrôle, mais alors que les trithérapies allumaient quelques lueurs d’espoir dans un paysage intime et social dévasté (Olivier Cheval). Un témoignage signé Tim Madesclaire vient d’ailleurs tempérer le scandale, dans un texte au titre sublimé par une coquille dans le sommaire « Dustan écrain de l’espoir » (ôtez « iv » pour « hiv » ? pour « vie » ?).
Mlle Durex et Mlle Latex témoignent de la tenue d’un procès auquel elles assistent, intenté par deux agresseurs à une femme transsexuelle, qui s’est défendue (le procès sera perdu pour eux mais les commentaires évoquent la cour, la police – notamment par l’association Flag ! des personnels des ministères de l’Intérieur et de la Justice pour lutter contre les discriminations en leur sein mais également envers la population –, les mécanismes discriminatoires encore à l’œuvre). Instructif et consternant ! Là encore, une remarque de forme : attention à la relecture, aux propositions automatiques. L’algorithme est-il transphobe quand il transforme réassignation dans « opération de résignation », dans la note 2, p. 80 ?
Deux auteurs vont maintenant nourrir les réflexions : Mario Mieli (1952-1983) et Jacques Camatte (né en 1935, philosophe, militant issu du marxisme). Si « Vers un communisme gay », signé par « Une bande de chats homosexuels » semble exprimer le phantasme que tous les hommes sont de homosexuels, refoulés par la société, l’éducation, les conformismes…, en s’appuyant sur la pensée de Mieli, l’article de Mickaël Tempête vient étayer cette pensée qui se double d’une analyse politique radicale, et qui s’appuie sur les éléments d‘échange, de convergence entre les deux penseurs là où beaucoup n’ont retenu qu’une polémique sur l’interprétation d’un commentaire.
Enfin (c’est dense, Trou noir !), « Le Monstre au cabinet » vient régler son compte à la psychanalyse (en tous cas à la figure de l’Homoanalyste) dans ce texte implacable, violemment appuyé sur des références, psy, littéraires, philosophiques et politiques, comme tous les textes présentés dans la revue. C’est Quentin Dubois qui termine.
Trou noir est dérangeant, excessif, érudit, radical : les superlatifs lui conviennent. Parviendrait-il à convaincre qui ne serait pas déjà gagné à la cause ? Il s’agit d’un choix de textes (deux sont inédits, les autres ont d’abord été publiés en ligne) qui trace une ligne de réflexion, n’épuise pas, loin de là, son sujet. Sur le site trouverait-on d’autres pistes plus modernes ? Car, tout stimulant que soit Trou noir, on y commente des notions encore fécondes, certes, mais ancrées dans le XXe siècle (les auteurs cités, la psychanalyse, le communisme…) mais point d’hypermodernité (médias, réseaux, transhumanismes…). Et puis, si ce n’est l’accusée transexuelle, les femmes sont largement absentes de la revue. Encore un mécanisme de domination latent à l’œuvre ? Pourtant, le site propose beaucoup d’abords de ces sujets. Une revue à suivre.
Yannick Kéravec