Cinquième épisode de notre série consacrée à Critique : Yves Hersant nous raconte une rencontre du troisième type au Tiburce en 1979.
Critique Memories #5
La date : 1979, un jour de printemps. Le lieu : « Chez Tiburce », restaurant aujourd’hui disparu. Tout proche des Éditions de Minuit, et donc du minuscule bureau de Critique, il était cher à Jean Piel (qui pouvait aisément s’y rendre sans trop s’appuyer sur sa canne). L’occasion : la remise en mains propres d’un article qui, in illo tempore, ne pouvait être transmis par messagerie fulgurante.
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Ce petit texte, destiné à un numéro spécial sur « le mythe de la langue universelle », ne pouvait qu’intriguer le successeur de Georges Bataille : car mon propos était de rendre compte d’un film de science-fiction, les Rencontres du troisième type de Steven Spielberg. Pressé de questions, j’explique avec une gaucherie de débutant que survivent dans la S-F, sous une forme dégradée, nombre de questions de la philosophie classique ; que la télépathie, pour laquelle elle manifeste un goût immodéré, n’est que l’actualisation du rêve augustinien d’une communication sans signes ; que les Rencontres de Spielberg renouent avec l’Harmonie universelle du Père Mersenne ; qu’en imaginant une « langue musicale » susceptible d’être entendue des extra-terrestres, le cinéaste et son scénariste sont tombés dans une vieille illusion. Jean Piel hoche la tête. « Seuls certains gestes sont peut-être universels », déclare-t-il à mi-voix ; et soudain, sa main s’envole sur la blonde chevelure d’une jeune femme assise à la table voisine.
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Nulle gifle en retour, mais un beau sourire de l’inconnue : « Venant de vous, je vois là un hommage ».
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Hélas, le Tiburce est devenu un magasin de produits surgelés.
Yves Hersant
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